Les Français en Indochine, des années 1830 à la fin de la Seconde Guerre Mondiale

 

Historiquement, l’Indochine est le nom donné, à partir de 1888, à la réunion sous une administration unique, des colonies et protectorats français de la péninsule indochinoise qu’étaient les Cochinchine orientale et occidentale, le Cambodge, l’Annam et le Tonkin conquis entre 1862 et 1888, auxquels est adjoint le Laos en 1893. Après une phase de conquête où se distinguèrent missionnaires, officiers et géographes, la politique coloniale française en Indochine vit s’illustrer des hommes politiques comme Jules Ferry, Paul Bert, Paul Doumer ou Albert Sarraut. Lourde fiscalité et pression administrative furent à l’origine de troubles, avant que la montée du nationalisme annamite, la seconde guerre mondiale et l’intervention du Japon ne mettent fin à un siècle de présence française.

 

Gia Long, un empereur francophile

 

Les raisons de la présence française en Indochine sont multiples. On sait que l’aventure militaire du Siam, sous Louis XIV, s’est terminée par un échec. À la suite d’un certain nombre de maladresses, ce pays rompt tout contact avec les Européens après 1687. Il faut attendre un siècle pour assister au renouvellement d’une tentative du même ordre, cette fois au « royaume de Cochinchine », une composante de l’empire du Dai-Viêt, l’actuel Vietnam. Le 28 novembre 1787 en effet, Mgr Pigneaux de Béhaine, évêque in partibus d’Adran, fait signer à Louis XVI un « petit traité de Versailles » qui prévoyait le soutien au prince Nguyên Anh contre deux points d’appui sur la côte et au large du Vietnam, Tourane et Poulo-Condor, ainsi que le monopole du commerce. En fait, le soutien français fut presque inexistant, mais Mgr Pigneaux utilisa ses propres ressources et le soutien des négociants de l’île de France et de Pondichéry pour obtenir trois navires et un petit corps de troupe. Sur place, les « engagés volontaires » réussissent à moderniser la flotte et l’armée du prince Nguyên, qui remporte la victoire sur ses ennemis, les Tây-Son, et unifie le Vietnam sous le « nom de règne » de Gia Long. En quoi la France peut-elle, à la fin du XVIIIe siècle, se trouver intéressée par l’Indochine ? Il semble que l’une des raisons essentielles ait été de contrebalancer, en Extrême-Orient, l’empire des Indes conquis par l’Angleterre de 1757 à 1856. La France, après les traités de 1763 puis 1814, ne conserve que cinq comptoirs sans possibilité militaire, sans arrière-pays et sans avenir. De leur côté, les Anglais occupent des points stratégiques : Ceylan en 1813, Singapour en 1819. Les États d’Extrême-Orient, par rapport à l’Inde, se sont entrouverts aux Européens au cours du XVIIe siècle, laissant deviner de surprenantes possibilités, puis se sont fermés de manière plus ou moins hermétique. Ce schéma est à peu près le même au Japon, au Siam, en Chine, au Dai-Viêt. Dans ce dernier pays toutefois, Gia Long reste favorable à la France jusqu’à sa mort, en 1820. Il était très attaché à Mgr Pigneaux, dont la mort est entourée d’honneurs en 1799, et a su conserver à son service les « engagés volontaires », en particulier Chaigneau et Vannier, devenus mandarins dans un Vietnam réunifié que les Français appellent l’« empire d’Annam ». En 1820, après un voyage en France, Chaigneau regagne Hué avec un double titre de consul et commissaire du roi Louis XVIII, afin de négocier un nouveau traité de commerce. Mais à son retour, Gia Long n’est plus ; et son successeur, le prince Dam devenu Minh Mang, est beaucoup moins favorable à l’Occident. En dépit des efforts, l’Annam demeure fermé jusqu’au retour offensif des Français, en 1858.

La phase de conquête et d’exploration, 1859-1868

 

Les positions françaises en Extrême-Orient restent donc très limitées, surtout si on les compare aux positions anglaises qui se sont développées à partir du commerce de l’opium contre le thé. À Canton, au temps du principal conflit lié à l’opium (1839-1842), les seuls Français présents sont le consul et une poignée de prêtres lazaristes. Le prétexte à une intervention militaire est donné par quelques incidents symboliques mettant en cause les propagateurs de l’Évangile : meurtre d’un missionnaire français en Chine, massacre de chrétiens au Vietnam. En 1858, l’amiral Rigault de Genouilly fait une démonstration sur les côtes de Chine puis va exiger réparation de Tu Duc, alors empereur d’Annam.

Le corps expéditionnaire français s’empare de Tourane, aujourd’hui Da Nang sur le littoral annamite, pour se rendre compte aussitôt qu’il est presque impossible de gagner Hué, aussi bien par la rivière que par la voie de terre. En fait, on s’était fié un peu trop aux rapports lénifiants des missionnaires ; les officiers découvrent là une population et des mandarins hostiles, ainsi que des forces militaires plus importantes que prévu. Cherchant un meilleur point d’appui, Rigault de Genouilly finit par prendre Saigon le 17 février 1859. Mais la flotte française doit alors se lancer dans une opération contre Pékin, conjointement avec les Anglais. Cette expédition se fait avant que Tu Duc ait accepté de négocier ; un petit détachement est laissé à Saigon tandis que Tourane est évacuée.

À la fin des opérations contre la Chine, l’amiral Charner dégage Saigon en 1860 et occupe My tho et Biên Hoa, c’est-à-dire la plus grande partie de la basse Cochinchine. En février 1861, les « canonnières » à faible tirant d’eau poursuivent les embarcations annamites dans le dédale des innombrables bras du delta. En avril 1863, Tu Duc doit signer le traité de Hué, qui l’amène à céder les trois provinces de Saigon, My Tho et Biên Hoa à la France. Par ailleurs, il garantit le libre exercice du culte catholique en Annam. En France, l’opposition à la présence en Indochine est vive lorsque l’opinion publique sait que ces trois provinces sont données en pleine propriété. En effet, la France se trouve alors engagée et la guerre menée contre Tu Duc a coûté cent quarante millions de francs en trois ans. Les amiraux qui, depuis 1861, portent le titre de gouverneurs, réussissent pourtant à sauver leur conquête et à conserver le traité de Hué. Par ailleurs le roi du Cambodge, Norodom, décide de se placer sous protectorat français le 11 août 1863 ; ce faisant, il échappe ainsi à la tutelle du Siam, son puissant voisin. Ce nouvel épisode amène Tu Duc à céder à la France le reste de la Cochinchine : les provinces de Vinh Long, Hâ Tien et Chau Doc, entre Saigon et le territoire cambodgien. La dernière poche de résistance est celle que contrôle le mandarin Phan Than Gian, vice-roi du Bas-Mékong : il se suicide en 1867 après avoir conseillé la soumission.

C’est la recherche de points d’appui qui a mené la France à ce début de domination territoriale ; il reste, dans les années qui suivent 1860, à montrer l’utilité de la possession. Chasseloup-Laubat, président de la Société de Géographie, réclame l’exploration des plateaux laotiens. L’amiral La Grandière est persuadé que la nouvelle colonie offre une voie d’accès à la Chine et au commerce que l’on convoite depuis les débuts de l’époque moderne. C’est dans cette optique qu’il demande à Doudart de Lagrée (1823-1868), officier de marine qui s’est illustré au Cambodge, de remonter l’ensemble du Mékong. La voie a été partiellement ouverte par le journaliste Henri Mouhot, du Tour du Monde : ce dernier a visité les ruines d’Angkor, puis a atteint Luang Prabang, au Laos, où il est mort d’épuisement ; ses notes de voyage sont publiées par la revue. Fasciné par Angkor, Doudart a interrogé des bonzes au cours de l’année 1863, a traduit la Chronique royale du Cambodge, et pour finir découvre les origines indiennes de ce « royaume hindouisé ». En 1866, Doudart entreprend la remontée du Mékong à partir de Saigon et se rend vite compte au cours de sa progression vers le nord que le Mékong présente des difficultés d’ordre naturel presque insurmontables : les rapides de Kratié, à 500 km de l’embouchure, et d’ordre politique : de multiples petites principautés réclament des droits de passage et multiplient les difficultés à l’endroit des explorateurs. En fait, la véritable voie d’accès au Yunnan et à la Chine serait le Sông Koi, le fleuve Rouge. C’est en tentant de reconnaître cette voie que meurt Doudart de Lagrée, le 12 mars 1868. Son second, Francis Garnier, auteur de La Cochinchine française en 1864, termine l’expédition par le Yangzi et Shanghai et rentre à Saigon en juin 1868 avec une ample moisson de données géographiques et ethnographiques. Cette période de reconnaissance se termine avec les cinq voyages du docteur Harmand, effectués entre 1875 et 1877 au sud-ouest des grands lacs du Cambodge et vers le Laos où il découvre les populations « montagnardes » : Moïs, Khas, Thays.

 

La constitution territoriale de l’Indochine française

 

Les amiraux ont d’abord craint que la défaite de 1870 n’entraînât l’abandon de la colonie ; en 1872, la marine doit effectivement affronter une sévère réduction de son budget ; mais l’expansion se maintient toutefois, soutenue tant par les marins que par certains milieux d’affaires et les missionnaires, dont la revue Les Missions catholiques touche alors un vaste public. Il est vrai que l’intérêt se tourne désormais vers le fleuve Rouge et son bassin alluvial, le Tonkin, partie nord de          l’« empire d’Annam ». La voie du fleuve Rouge est bien connue de Jean Dupuis, un aventurier qui achemine par là des armes destinées à un général chinois en 1872-1873, en principe pour mettre fin aux révoltes qui agitent le Yunnan. Ce trafic indispose Tu Duc, dont l’autorité sur le Tonkin se trouve bafouée. L’empereur exige du gouverneur de la Cochinchine, Dupré, qu’il mette un terme aux  agissements de Dupuis. Mais ce dernier s’en remet également au gouverneur, demandant à la France la protection du commerce.

Dupré décide alors d’envoyer Francis Garnier, bon connaisseur, au Tonkin. En fait, Tu Duc avait peur que les agissements de Dupuis et d’autres aventuriers français n’encouragent l’opposition à la dynastie des Nguyên : celle des chrétiens, qui sont alors cent quarante mille au seul Tonkin ; celle des  populations montagnardes et allogènes ; éventuellement, celle des descendants des anciennes dynasties rivales. Garnier réussit à s’emparer des principales places du delta, mais les troupes annamites réussissent à se regrouper et se renforcent des « Pavillons noirs », mercenaires chinois hostiles aux Européens qui encerclent Hanoi et tuent Francis Garnier lors d’une sortie, en 1873. Mais Dupré désavoue officiellement l’aventure de Garnier, et envoie Louis Philastre, un lieutenant de vaisseau, négocier près de Tu Duc à Hué. Philastre accepte l’évacuation du Tonkin, ce qui suppose l’abandon des chrétiens : en mars 1874, par une convention signée à Saigon, la France reconnaît l’indépendance et la souveraineté de l’empire d’Annam. En échange, Tu Duc promet d’ouvrir au commerce international trois ports du Tonkin et le fleuve Rouge.

C’était là une importante modification des positions françaises. Elle change avec l’arrivée des républicains à Paris ; en juillet 1881, le gouvernement Ferry obtient des chambres un crédit de 2,5 millions de francs pour une expédition sur le fleuve Rouge, pour lutter contre les pirates chinois officiellement. À la tête de cinq cents hommes, Francis Rivière s’empare de la citadelle d’Hanoi le 25 avril 1882 ; mais il est tué l’année suivante par les Pavillons noirs. En février 1883, Jules Ferry donne une nouvelle impulsion à la politique française en Extrême-Orient : le corps expéditionnaire est porté à quatre mille, puis neuf mille hommes. Une escadre, placée sous les ordres de l’amiral Courbet, est envoyée en mer de Chine tandis que survient la mort de Tu Duc, en août 1883. La cour de Hué se trouve obligée d’accepter un traité de protectorat qui lui impose la présence d’un résident français. Désormais, les deux anciens royaumes indépendants qu’étaient le Tonkin et la Cochinchine et qui avaient été réunis sous Gia Long se trouvent de nouveau séparés ; le terme d’Annam ne désigne plus que la partie centrale de l’empire démembré, de part et d’autre de Hué. À la fin de 1883 et au début de 1884, le corps expéditionnaire français s’empare de la plupart des points clés du delta du fleuve Rouge. Il reste alors à résoudre le délicat problème des relations avec la Chine. Cette dernière, en dépit de son antique volonté de suzeraineté sur le Vietnam, reconnaît le protectorat français sur son voisin par la convention de Tien Tsin, signée le 11 mai 1884. Ce traité prévoit le retrait de toutes les troupes chinoises stationnées au Tonkin ; les opérations de retrait se font très lentement, et un incident survenu à Bac Lê, le 15 juin 1884, entraîne la rupture, bientôt suivie de la destruction d’une partie de la flotte chinoise à Fuzhou (Fou Tchéou), par Courbet, le 23 juillet de cette même année 1884. L’année suivante, un autre incident, grossi par la presse parisienne, entraîne un mouvement d’opinion hostile à la colonisation du Tonkin : il s’agit de l’évacuation par les Français du poste de Lang Son, à la frontière chinoise. Les radicaux, menés par Clemenceau, se déchaînent contre les abus de la guerre coloniale et finissent par obtenir la chute du gouvernement Ferry. La nouvelle chambre ne fait cependant pas évacuer le Tonkin, mais continue à voter les crédits à une faible majorité. Paris décide alors d’envoyer un nouveau résident général en Annam : il s’agit de Paul Bert, physiologiste de renom, athée militant et promoteur de l’école laïque. À Hué, après la fuite du jeune empereur Ham Nghi, les Français ont intronisé un souverain à leur dévotion, en juillet 1885. en novembre 1886, Paul Bert meurt peu après son entrée en fonctions, tandis que fait rage une forme de guérilla anti-coloniale, l’ «insurrection des lettrés » ou Cam Vuong, qui devient permanente dans la cordillère Annamitique et les forêts qui entourent le delta du fleuve Rouge ; elle aboutit au massacre d’environ quarante mille chrétiens sur les cent quarante mille que comptait alors le Tonkin. Ces « lettrés » sont des mandarins fidèles à la dynastie, ou des aventuriers qui s’octroient ce titre, et protègent le jeune Ham Nghi jusqu’à sa capture par les Français en 1888. Ils sont soutenus par les « pirates » ou mercenaires chinois qui se répartissent en Pavillons noirs, Pavillons jaunes, Pavillons rouges… La « pacification » du delta du Tonkin n’est pas achevée avant 1891. Les régions montagneuses du haut Tonkin, toujours suspectes, sont partagées en quatre territoires militaires ; c’est à la tête du deuxième territoire, celui de Lang Son, que le colonel Gallieni, disciple de Lyautey, expérimente la méthode de la « tache d’huile », distribuant des armes aux villageois afin qu’ils organisent eux-mêmes leur défense contre les Pavillons noirs. Dans ces régions, la fin de la pacification peut être datée de 1897 : elle est marquée par la reddition du De Tham, le plus connu des chefs rebelles. Cette même année 1897 voit l’arrivée de Paul Doumer en tant que gouverneur général. La conquête a été réalisée par un corps expéditionnaire de trente-six mille hommes, décimé par la dysenterie et le choléra. Les troupes métropolitaines ont été rapatriées dès 1888 ; sur place sont restés les hommes de la Légion étrangère, des troupes de marine et des formations indigènes, essentiellement deux bataillons de tirailleurs annamites créés en 1884, et une milice. On estime qu’en 1895, les colonnes comportaient deux Indochinois pour un Européen.

Enfin, les décennies 1880 et 1890 voient les Français développer leurs positions à l’intérieur de la péninsule indochinoise. Le traité de protectorat sur le Cambodge, signé en 1884, réduit pratiquement le roi Norodom au rôle de roi fainéant, ce qui laisse les Français libres d’étendre leur domination sur les principautés laotiennes des bords du Mékong qui étaient jusque là l’objet de disputes entre Annam et Siam. L’action essentielle dans ces régions a été celle d’Auguste Pavie (1847-1925). Arrivé à Saigon comme sergent d’infanterie de marine en 1869, il est passé au service des Postes et Télégraphes de Cochinchine ; il pose les lignes télégraphiques et se passionne en même temps pour la civilisation khmère. Sa silhouette, pieds nus, un feutre sur la tête et le campot autour de la taille, devient vite célèbre. En novembre 1885, Pavie est nommé vice-consul de France à Luang Prabang, capitale du plus important des royaumes laotiens, et qui se trouve alors dans la dépendance du Siam. Tantôt seul, tantôt avec une escorte militaire, Pavie explore les régions qui se trouvent à l’ouest de la cordillère Annamitique, passe des traités avec les chefs indigènes, se trouve finalement chargé de délimiter la frontière entre Laos et Siam. Ce tracé définitif des frontières dépend aussi d’un accord avec la Grande-Bretagne. Dès 1852, les Anglais occupent la basse Birmanie, et décident de placer très loin la ligne de protection de leur empire des Indes. Les frontières des possessions françaises sont fixées par l’accord avec le Siam du 3 octobre 1893, qui voit le royaume thaï renoncer à la rive gauche du Mékong, et conserver son indépendance grâce au rôle d’État tampon qu’il assume entre les territoires britanniques et français.

Ces accords sont prolongés par ceux qui sont conclus avec la Chine en 1894, puis avec le Royaume Uni en 1896 et 1904. Le Laos, dans ses limites actuelles, se trouve constitué ; en 1907, le Siam restitue au Cambodge les provinces qui contiennent les ruines d’Angkor, capitale des Khmers entre les IXe et XIVe siècles. Enfin, la Chine cède à bail aux Français l’exploitation des mines dans ses trois provinces méridionales : Yunnan, Guangxi et Guangdong. Ce sont les ingénieurs français qui construisent la ligne de chemin de fer qui va de la frontière du Tonkin à Yunnanfu.

La mise en place de l’administration

 

Les premières tentatives d’administration ont été menées par le contre-amiral Bonard, dont la principale référence était la colonisation hollandaise de Java. Mais le succès n’est pas le même, car, à la différence de ce qui se passe alors en Indonésie, les mandarins vietnamiens ne forment pas  véritablement une aristocratie. Ils restent fidèles à l’empereur, à qui ils doivent leur statut, par le biais des concours de recrutement, d’inspiration confucéenne. Cet état de choses explique leur large participation à l’insurrection de 1862-1863.

L’administration directe s’instaure véritablement avec le « gouvernement des amiraux » : les officiers de marine à qui est confiée la colonie jouissent d’une autorité quasi illimitée ; le gouverneur général se trouve assisté d’un conseil privé consultatif et de trois bureaux placés sous les ordres d’un directeur de l’Intérieur. La justice revient aux inspecteurs des Affaires indigènes. Ces dispositions font de la Cochinchine une colonie au plein sens du terme. Elle s’étend sur 60 000 km² en 1867, l’équivalent de neuf départements métropolitains.

La difficulté essentielle, au cours des années qui vont de 1860 à 1880, reste toutefois d’assurer l’ordre à l’intérieur de la nouvelle colonie, qui est loin d’être entièrement pacifiée. Un service militaire obligatoire de quatre ans permet de créer six bataillons annamites, qui peuvent renforcer sur le terrain l’action des milices locales. Un collège d’interprètes reçoit la mission d’enseigner le vietnamien et le français, et s’adresse d’abord aux militaires ; en même temps est mis sur pied le corps des lettrés-interprètes indigènes. Enfin, l’impôt repose sur l’établissement d’un cadastre et le recensement de la population.

Les grandes lignes de l’administration de l’Indochine se trouvent donc tracées lorsque Paul Doumer devient gouverneur ; les années de son « proconsulat » (1897-1902) constituent une étape importante dans l’organisation de la colonie, marquée par un regain de centralisation. Doumer développe l’oeuvre commencée sous ses prédécesseurs, en particulier de Lanessan. Ses successeurs, Paul Beau (1902-1908), Klobukowski (1908-1911), Albert Sarraut (1911-1914), poursuivent l’oeuvre entamée par Doumer, et dans la même optique générale. Doumer élimine d’abord toute forme de contrôle de l’empereur d’Annam sur le Tonkin : dans chaque colonie ou protectorat, l’autorité passe au résident supérieur. Le jeune empereur Than Thai se trouve réduit à un rôle de figurant. En revanche, un contenu réel est donné à l’« Union indochinoise », qui comprend le Laos à partir de 1896, et Guangzhouwan (Kouang Tchéou Wan) après 1898. Au cours des années 1897 et 1898 sont mis en place les services généraux qui accompagnent l’infrastructure administrative d’un État du début du XXe siècle : le Secrétariat général, les directions du contrôle financier, des travaux publics, des douanes et Régies, de l’agriculture et du commerce, des P.T.T… La réforme la plus importante reste toutefois celle du Budget général, créé en 1899 et alimenté par les impôts indirects perçus dans l’ensemble de l’Union indochinoise. Les impôts directs restent, eux, à la disposition des budgets locaux. Au total, le gouverneur général contrôle l’ensemble des ressources des six territoires formant l’Indochine.

Politique et fiscalité

Sur le plan politique, le gouverneur général se voit déchargé des tâches administratives par les résidents supérieurs et le lieutenant-gouverneur de Cochinchine. En revanche, il est entouré par le Conseil supérieur consultatif, qui regroupe les hauts fonctionnaires, les représentants des grands intérêts financiers et industriels et deux notables annamites. Seule la Cochinchine a la possibilité d’élire un député et de maintenir quelques prérogatives d’ordre budgétaire ; en revanche, l’empire d’Annam n’a plus aucune possibilité d’autonomie politique. Du côté français, l’un des problèmes est de constituer un personnel administratif stable, qui soit intégré dans le corps des services civils créé en 1899. Dès le départ, le recrutement doit être rendu plus attractif par l’attribution de « traitements élevés ». L’ensemble du service, et même de tout le système administratif, est contrôlé par le gouverneur général, lui-même en correspondance régulière avec le gouvernement et les différents ministres. Les prérogatives obtenues par Doumer ont donc abouti à la mise en place d’une centralisation rigide, que Sarraut essaie d’assouplir à partir de 1911, en décentralisant un peu les services ; mais cela l’amène à multiplier les fonctionnaires, aux dépens du budget de l’Indochine : à Paris, la Chambre attaque régulièrement les « budgétivores ». En effet, l’ensemble du système repose sur une lourde fiscalité, et au bout du compte sur le paysan indochinois. Les impôts directs s’élèvent au fil des ans, reposant, on l’a vu, sur le recensement. Mais la population que l’on estimait autour de vingt millions d’habitants en 1897 se situe en fait à dix-neuf millions au recensement de 1921, plus de vingt ans après. La surévaluation du nombre des contribuables accroît la part à verser par chacun d’eux entre 1900 et 1920. La fiscalité la plus lourde semble par ailleurs avoir été la fiscalité indirecte : la plupart des revenus proviennent des douanes, ainsi que des « trois régies », du sel (1897), de l’opium (1899), et de l’alcool de riz (1902). Ce système des régies, attaqué par certains contemporains comme le colonel Bernard, contribue à générer l’inflation et à dégrader la santé publique. Toutefois, la fiscalité est si lourde qu’après 1900 l’Indochine cesse de peser sur le budget national ; des excédents commencent mêmeà se dégager si bien qu’il est possible à partir de 1898 d’émettre sur le marché français des emprunts de chemins de fer et de travaux publics. Ces emprunts sont gagés sur le budget indochinois.

Le programme économique

L’équipement colonial s’appuie sur un ambitieux programme. L’axe essentiel en est la mise en place d’un réseau ferroviaire indochinois, reposant sur trois lignes : celle du Yunnan, celle du Guangxi, de Dong dang à Langzhou, et celle du Siam, de Saigon à Battembang. La construction d’un réseau ferroviaire dans la partie méridionale de la Chine, affaiblie par le traité de Shimonoseki (1895), aiguise les appétits financiers : la colonisation française en Indochine se trouve relayée par une aire d’influence en Chine. À la fin de la décennie 1890, trois missions d’origine différente soulignent l’intérêt de la mise en place d’un bon réseau ferroviaire. Une mission d’exploration commerciale en Chine est constituée en 1895 par Ulysse Pila, président de la Compagnie lyonnaise d’Indochine. Son envoyé, Henri Brenier, souligne en 1897 le faible volume du commerce entre Tonkin et Yunnan, ainsi que l’importance des mines chinoises de Mongzi. En 1895 également, le Comité des Forges a institué une Société d’études industrielles en Chine, afin d’y vendre du matériel. Son envoyé, Dujardin-Beaumetz, insiste dans son rapport de 1897 sur les richesses du Yunnan en étain, cuivre et argent, ainsi que sur l’intérêt que présenterait une installation permanente. Une troisième mission, Guillemoto-Leclerc-Bélard, a pour but de fournir aux responsables politiques français les aspects techniques qui leur font défaut. Tout cela aboutit aux conventions franco-chinoises, signées en 1895 et 1898, et à un budget total d’un montant de soixante-dix millions de francs. Un système d’emprunts, gagés sur le budget de la colonie, doit permettre d’assurer ce financement. Sur ces bases se met en place, en 1898, un consortium regroupant financiers et industriels : toutes les grandes banques parisiennes s’y trouvent représentées, sous la direction de la Banque d’Indochine ; aux banques s’ajoutent deux importantes sociétés de travaux publics et de transports,la Société des Batignolles et la Régie générale des chemins de fer. Les représentants du consortium rédigent le texte fondateur le 11 novembre 1898, en présence de Paul Doumer. Ils demandent une subvention annuelle de trois millions de francs, ce qui est approuvé par la Chambre et le Sénat. Sur place, l’ingénieur Guibert obtient la concession de la ligne Haïphong-Laokay.

Les années qui suivent voient un dépassement du budget prévu initialement, qui de 70 millions passe vite à 100 millions. Une subvention de 12,5 millions de francs est accordée au consortium, à partir d’un prélèvement sur le budget de la colonie ; le consortium obtient ensuite la concession de la ligne Hanoi-Haïphong, puis l’exploitation pour soixante-quinze ans de Hanoï-Laokay, ce qui inclut la fourniture du matériel roulant. Fondée en 1901, la Compagnie du chemin de fer de l’Indochine et du Yunnan est une émanation du consortium. Finalement, le consortium a besoin de 65 millions de francs supplémentaires pour achever la ligne du Yunnan, c’est-à-dire 465 km de voie ferrée et trois cents ouvrages d’art.

Dans l’ensemble, le bilan des placements français en Indochine se monte, en 1914, à 16% des capitaux absorbés par l’empire colonial ; les investissements privés correspondent à 230 millions, les investissements publics à 426 millions. Sur les fonds publics consacrés à l’équipement, les chemins de fer représentent 380 millions, pour 1900 km de voie étroite, ligne du Yunnan comprise. Autre grande réalisation, le Transindochinois n’est pas terminé à la veille de la première guerre mondiale. D’autres grandes réalisations, en revanche, se terminent : le pont Doumer, l’équipement des principaux ports, Haïphong, Tourane et Saigon. De nombreux capitaux lyonnais se sont investis dans la Compagnie lyonnaise de l’Indochine (1898), dans la Cotonnière de l’Indochine (1898). La Banque de l’Indochine crée une Société des charbonnages du Tonkin en 1899, la Société des Batignolles une Société des ciments Portland de l’Indochine (1899). La prospérité de la Banque de l’Indochine apparaît liée bien sûr au développement des affaires indochinoises, mais aussi au développement d’autres régions d’Asie. Le capital de la banque, 24 millions de francs en 1900, a doublé en 1910 pour atteindre 48 millions. La banque possède un monopole de fait dans les colonies d’Asie, avec privilège de l’émission des billets. Elle prête aux sociétés pour financer des travaux publics, et ouvre des succursales au Tonkin, en Annam, au Cambodge, mais aussi en Nouvelle-Calédonie, en Chine, au Siam. Ses opérations proprement coloniales ne représentent que 37% de son chiffre d’affaires ; le reste est réalisé par des opérations en Chine, en Inde ou même à Paris.

Toutefois, le bilan global du commerce extérieur laisse apparaître une grande faiblesse des investissements industriels. Aux importations, l’Indochine reçoit des produits finis de consommation, essentiellement des cotonnades, pour 70%, en 1913. Avec l’Algérie, elle est le principal client de l’industrie cotonnière métropolitaine. Aux exportations, 66% sont représentés par le riz ; la houille ne représente que 2%, le latex 1%, les métaux non-ferreux 1% également. L’Indochine n’avait guère l’impression de profiter de l’important effort fiscal consenti depuis les débuts de la colonisation : ce sentiment de frustration contribue à expliquer les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les successeurs de Doumer.

Les difficultés sociales et politiques entre les deux guerres

Dès les premières années du XXe siècle, un mouvement national important commence à se former. Le mécontentement a plusieurs origines ; les colonisateurs ont tendance à faire une distinction entre la Cochinchine, et en particulier la région de Saigon, où commence à se développer une bourgeoisie vietnamienne, et le Tonkin, qui apparaît beaucoup plus comme un réservoir de main-d’oeuvre. D’autre part, la pression fiscale se fait de plus en plus forte, et s’ajoute pour les paysans aux méfaits traditionnels de l’usure, mal répandu dans toute l’Asie du Sud-Est mais que la colonisation française n’a pas fait disparaître. Enfin, les lettrés, cadres traditionnels de la société vietnamienne, se trouvent écartés de l’administration de leur pays au profit d’un corps de fonctionnaires étrangers, et en ressentent une permanente frustration. De nouvelles catégories sociales, les « lettrés-fonctionnaires » ou « lettrés-commerçants », sont le produit d’une certaine assimilation de la culture française ; dans le but de faciliter le développement de l’éducation, Paul Beau crée de nombreuses écoles et favorise la réforme de l’alphabet romanisé vietnamien, le quôc ngu crée par Alexandre de Rhodes au XVIIe siècle, et légèrement revu par Pigneaux de Behaine à la fin du XVIIIe. Ces réformes permettent effectivement l’apparition de nouvelles catégories, qui ont assimilé les apports européens. Toutefois, ces nouveaux statuts n’éliminent pas les frustrations,car ces intellectuels partagés entre deux cultures ne dépassent que rarement les échelonssubalternes de la bureaucratie française. En 1910, le député Messirny, dans Notre OEuvre coloniale, parle de « l’hostilité sourde mais grandissante que nos sujets nous témoignent de plus en plus ».

démantelé lors de la répression et cède désormais la place au Parti communiste indochinois fondé cette même année par Nguyên Aï Quoc, désormais appelé Hô Chi Minh, « Qui apporte les lumières ». Par rapport à ces difficultés, le gouvernement colonial tente quelques réformes. Ainsi, la création d’une université indochinoise a pour but de freiner l’exode des jeunes Vietnamiens vers le Japon. Toutefois, de nombreux étudiants y deviennent d’ardents défenseurs du Mouvement national, et Klobukowski préfère fermer cette université. Paul Beau a également essayé de doter le Tonkin de plusieurs organismes consultatifs : conseils de province et Chambre du Tonkin, avec élections au suffrage restreint. Même s’ils n’ont pas de pouvoir réel, ces nouveaux élus ne s’en joignent pas moins au mouvement de protestation antifiscale de 1908. Klobukowski supprime ces conseils, que Sarraut rétablit. La politique assez souple d’Albert Sarraut (1911-1919) et l’essor économique des années 1920, après le premier conflit mondial, expliquent un certain apaisement. Les grands chantiers se poursuivent : le Transindochinois par exemple, de Saigon à Lao Kay sur la frontière chinoise, passant par Hué et Hanoi et long de 1135 km, est achevé en 1936. Lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, le calme règne pratiquement dans toute l’Indochine. Les conséquences du conflit allaient perturber ce fragile équilibre.

La seconde guerre mondiale

 

La défaite française de 1940 laisse l’Indochine dans un grand désarroi, et pratiquement à la merci des Japonais qui reprochent à la France d’acheminer du matériel militaire vers la Chine par le Transindochinois. Le Japon adresse un ultimatum au général Catroux, alors gouverneur général, le 19 juin 1940. Catroux accepte de fermer la frontière dès le lendemain mais il demande des renforts à la métropole, ainsi qu’un appui à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Cela lui vaut d’être révoqué par le gouvernement de Vichy, qui le remplace par l’amiral Decoux. Decoux, qui ne dispose que de faibles troupes et de matériel désuet, se voit contraint à accepter les exigences des Japonais, notamment l’occupation de la base navale d’Haïphong, en septembre 1940. En même temps, le Siam profite de l’occasion pour attaquer les Français ; il subit toutefois une défaite navale à Koh Chang, en 1941. Malgré tout, les Japonais réussissent à obtenir pour lui la cession des provinces laotiennes de la rive droite du Mékong ainsi que la province cambodgienne de Battambang, où se trouvent les ruines d’Angkor, lors de la convention de Tokyo le 9 mai 1941. La présence de ses troupes en Indochine permet au Japon d’y implanter un réseau d’espionnage dense et efficace, qui développe les sentiments anti-français. Lorsque la situation semble mûre, les Japonais portent un ultime coup au prestige déjà bien ébranlé de la France en occupant toute l’Indochine par le coup de force du 9 mars 1945. De ce fait, ils préviennent aussi toute forme de ralliement aux Alliés. Le 10 mars 1945, ce sont les Japonais eux-mêmes qui prennent l’initiative de proclamer l’indépendance du Viêt-Nam. À leurs côtés, l’empereur Bao Dai, né en 1913, est devenu empereur d’Annam en 1925, à la mort de son père Khaï Dinh. Après avoir fait des études en France, il ne monte réellement sur le trône qu’en 1932 et laisse fonctionner l’administration directe de la France en dépit de son ministre Ngô Dinh Diem, qui préfère se retirer dès 1933. Sa popularité des premiers temps décline au fur et à mesure que l’on prend conscience de sa passivité, devant les Français comme devant les Japonais. À la demande de Hô Chi Minh, il accepte d’abdiquer le 25 août 1945, après la proclamation d’indépendance.

La fin de l’Indochine française

 

Le départ des Japonais voit culminer le mouvement indépendantiste. Le 29 août 1945, Hô Chi Minh proclame la République Démocratique du Viêt-Nam, sous le contrôle du Viêt Minh, fondé en 1941 par Hô Chi Minh et regroupant nationalistes et communistes. Bao Daï entre dans le cabinet de Hô Chi Minh au titre de « Conseiller suprême » tandis que ce dernier devient président de la République le 2 mars 1946 ; son gouvernement s’installe à Hanoi, et il signe avec Sainteny, représentant de d’Argenlieu, les accords de mars 1946. En effet, une ambiguïté de taille subsiste : le 16 août 1945, le gouvernement de Gaulle a nommé l’amiral d’Argenlieu Haut-Commissaire pour l’Indochine, avec mission de « rétablir la souveraineté française ». Un certain nombre d’opérations ont eu lieu : le Viêt Minh a déclenché un soulèvement à Hanoi en août 1945, les Français ont repris Saigon le 23 septembre. Après son élection au titre de président de la République, Hô Chi Minh accepte que le Viêt-Nam fasse partie de la Fédération indochinoise et de l’Union française (6 mars 1946) ; mais les négociations qui se tiennent à Fontainebleau de juillet à septembre 1946 échouent sur la question de la Cochinchine, réclamée par le Viêt-Nam. Cet échec est à l’origine d’une reprise des activités militaires entre la France et l’Indochine, au lendemain de la seconde guerre mondiale. La flotte française bombarde Haïphong le 24 novembre 1946, puis le Viêt Minh organise des représailles à Hanoi le 19 décembre ; ces opérations sont à l’origine d’un vaste embrasement, qui commence avec l’apparition de foyers de guérilla dans le haut pays, c’est-à-dire dans les zones contrôlées par le Viet Minh et ses alliés indochinois : Pathet Lao, Issarak du Cambodge. Les foyers s’étendent progressivement, tandis que la France négocie avec le Siam pour obtenir la restitution des provinces perdues en 1941. Une série d’événements accélère toutefois l’issue diplomatique du conflit. C’est d’abord l’intervention de Bao Dai, qui revient sur son abdication de 1945. Après s’être retiré à Hong Kong, il demande à la France, qui le soutient, de reconnaître l’indépendance du Viêt-Nam, ce qui est fait le 8 mars 1949. Bao Dai reprend alors son titre impérial, et forme à Saigon un gouvernement provisoire. Au terme d’un échange de lettres avec le président Vincent Auriol, il accepte de faire du Viêt-Nam un « État associé à la France ». Mais à cette date, les troupes chinoises communistes de Mao Zedong progressent vers le sud, et atteignent la frontière sino-vietnamienne au mois de décembre 1949.

Les opérations militaires n’en durent pas moins de longues années encore : en 1953, les trois « États associés » d’Indochine – Cambodge, Laos et Viêt-Nam – forment trois hauts-commissariats, regroupés en un commissariat général. C’est toutefois la capitulation de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, qui accélère les négociations ouvertes à Genève depuis le 26 avril. L’accord du 21 juillet 1954 reconnaît la neutralité du Laos et du Cambodge, tandis qu’il partage provisoirement le Viêt-Nam en deux États, du Nord et du Sud. La France évacue ses troupes, qui se retirent définitivement de Hanoi le 13 mai 1955, et de Saigon le 10 avril 1956. Réfugié en France, Bao Dai se voit écarté du trône à partir de 1955. L’Indochine française a duré moins d’un siècle, et son histoire s’achève au début des années 1950 dans un contexte de guerre idéologique. Les deux guerres mondiales, au cours du XXe siècle, ont contribué à rendre difficile la mise en place d’un équilibre entre l’administration française, sans doute trop directe, et les pouvoirs locaux traditionnels que ne coordonne pas vraiment l’action de souverains à la personnalité souvent faible ou incertaine. Une pression fiscale trop importante n’a fait que renforcer l’endettement, déjà chronique, de la paysannerie ; elle a toutefois contribué à rendre possibles certains aspects de l’équipement, en particulier sur le plan ferroviaire. Enfin, sur le plan culturel, c’est l’aventure coloniale qui a permis la découverte des civilisations de l’ancien Cambodge et du Dai-Viêt aux alentours de 1880.

Jean-Pierre Duteil

Universite Paris VIII, Avril 2003