Centennaire du petit train du Yunnan – Les grands courants commerciaux du far-west chinois et notre chemin de fer au Yunnan

Extrait du BULLETIN DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE COMMERCIALE, Paris,1910 – page 697 – Dr Legendre.

Dans une lettre du 7 mai, adressée à M. le Directeur des services commerciaux au Tonkin, je signalais tout l’intérêt que pouvait présenter pour notre colonie le développement de la sériculture dans l’Ouest Setchouanais, au Kientchang, dont le climat est éminemment propre à l’élevage des vers à soie.

Comme le service compétent l’a reconnu à Hanoi, la soie de cette région ne saurait être une concurrence pour les sortes du Tonkin: elle en diffère trop. Dans ces conditions, l’accroissement de la production dans l’Ouest setchouanais comme au Yunnan, d’ailleurs, prendrait une véritable importance ce serait l’article d’échange, par excellence, pour les cotonnades et autres produits de notre colonie, faciles à écouler sur le marché du Kientchang, ainsi que le prouve la tentative faite par M. Baltan, dont la maison est installée à Yunnan-fou.

Xing- Yuan-Fou n’étant pas un port ouvert, il y aurait bien quelques difficultés, soutevécs par les autorités, mais elles seraient si facilement éludées par l’utilisation d’intermédiaires chinois qu’on trouverait au Yunnan et même à Hanoi! Il n’y aurait qu’à imiter en cela nos concurrents anglais, allemands ou américains.

De ce court exposé, il résulte que l’étude des méthodes séricicoles, en honneur au Setchouen, avec, comme corollaire, l’étude des moyens d’amélioration de ces méthodes fort primitives, présente, pour le Tonkin, un intérêt difficilement contestable. C’est pourquoi je me suis attaché, cette année, a résoudre le problème des « possibilités «  de développement de la sériciculture au Kientchang. J’ai consacré à cette tâche tout le temps nécessaire, étudiant, observant dans d’excellentes conditions, dans un trou perdu de la vallée duYalong, Eu-se-Ying, où je pouvais facilement approcher des familles et visiter les élevages aussi souvent qu’il me plaisait.

En ce qui concerne l’élevage proprement dit, les méthodes en usage et en honneur sont pitoyables il n’y a point d’autre expression pour les qualifier. Mais les études et observations que j’ai pu faire, dans la vallée du Yalong, m’ont permis de me rendre compte que des précautions fort simples et surtout la renonciation a quelques pratiques absurdes, désastreuses, peuvent, tout de suite, améliorer la qualité de la soie, et accroître le rendement. Aucune méthode ne m’apparaît comme pouvant donner autant de résultat.J’ai même été très étonné de ne rencontrer aucune opposition systématique aux nouvelles méthodes d’élevage que j’enseignais. Certaines familles se sont, tout de suite, prêtées aux quelques expériences, les plus concluantes, que j’ai tenu a faire. Les résultats de ces expériences les ont frappées, Aussi sont-elles, dès maintenant, acquises a 1’application de certaines des nouvelles méthodes, celles à leur portée immédiate. Les autres familles suivront des que la prochaine saison permettra de faire ressortir la supériorité du rendement par nos procédés. Quoi qu’il en soit, a l’heure présente, il est incontestable, que, d’ici quelques années, la situation aura bien changé.

Le Kientchang sera devenu sans plus tarder un centre important de sériciculture. A nous de préparer, dés maintenant, Ies moyens de détourner a notre profit, vers le Tonkin, un produit riche, supportant facilement les frais d’un long trajet en chemin de fer. Mais ce n’est pas seulement ta production en soie grège du Kientchang qui peut nous intéresser il y a celle beaucoup plus considérable encore de la vallée au Sud de Tchen-tou.

Je veux parler du district de ce centre séricicole le plus important  de tout te Setchouen, comme on le sait, le jour où le rail, prolonge de Yunnan-fou vers le Nord-Est, aboutissant au Yang-tseu, on peut admettre sans grande présomption, que la soie de Kiating, renoncerait a courir, plus longtemps, les risques d’un transport par eau, sur un fleuve bien connu pour son insécurité. On n’ignore pas, non plus, qu’a cette époque, où le « temps n’ est plus que jamais de  l’argent , un marché entre Tchong-king et Changhai ne peut être conclu a date de livraison. La livraison ne peut même pas être assurée dans le délai de trois a quatre mois. Je n’ai pas besoin d’insister sur le gros aléa que comporte pareil délai. On s’empressera d’objecter qu’une voie ferrée ne saurait tarder a relier Tchen-tou ou Tchong-king à Hankéou, que par conséquent, la soie continuera de se diriger vers son entrepôt habituel, vers Changhai.

On peut répondre, sans se tromper, que l’un ou l’autre de ces grands tronçons exigera un long temps pour être construit dix années au moins, étant donné les difficultés du terrain. D’ailleurs, les études d’un tracé définitif n’ont pas encore été faites ou ne sont qu’ébauchées pour la ligne directe Hankéou- tchong-king. Quant à. celle qui emprunterait la vallée du Nam, pour gagner Tchen-tou, on peut admettre, malgré les intéressants travaux de la mission Manifold, que le trace n’est pas non plus définitivement arrêté, qu’il exigerait des études complémentaires, sinon une révision par des spécialistes. D’ailleurs de ce côté aussi les difficultés sont grandes le bassin de la rivière Nam est séparé de celui du Kialing-hô, par une sucession de chaines parallèles et de ravins profonds que la ligne viendra attaquer perpendiculairement a leur axe. Dans ces conditions, il est difficile de prévoir comment pareilles difficultés seront résolues et quel retard elles apporteront à l’achèvement de la. construction. Nous avons donc le temps d’aviser.

Il n’en est pas tout à fait de même si l’on considère le projet d’extension de la ligne indochinoise que l’autre 630 kilomètres a 650 kilomètres contre 1.400 kilomètres environ pour le tracé Hankéou-Tchong-king et 1.750 kilomètres pour le tronçon Tchen-tou-Hankéou (estimation des missions topographiques anglaises). Un ingénieur français a fait les études complètes d’un tracé aboutissant a Soui-fou ou Naki et son opinion est que la construction de ce tronçon serait plus facile que celle du tronçon Laokai-Yunnan-sen. Si l’on envisage maintenant la situation politique au Yunnan et la nature de l’obstruction qui se fait a la réalisation de pareil projet, il n’est pas nécessaire d’être grand prophète pour prédire que les Chinois céderont, sans tarder, sinon sur toute la ligne, du moins sur les points principaux.

L’autorisation de construction, dans certaines conditions à débattre, et l’acceptation d’un large concours financier, permettant de mener rapidement, & bonne fin, l’entreprise elle-même. La Chine, depuis trois a quatre ans, a pris une attitude telle, qu’elle ne peut la maintenir sous peine de graves inconvénients pour elle. Systématiquement elle a fait table rase de tous ses engagements, violant d’importantes clauses de traités. Elle ne peut continuer ainsi. L’attitude récente de la Russie le lui prouve et l’assagira.

La Chine en viendra donc fatalement à accepter les concours étrangers car elle est bien obligée de reconnaître qu’elle n’a ni la capacité technique, ni les moyens financiers de faire aboutir son plus modeste programme de travaux publics, et elle est a bout de résistance. Le gouvernement, d’ailleurs, ne résiste plus que pour la forme, attendant une occasion favorable, l’accalmie qu’il prévoit prochaine, car l’étudiant n’est guère suivi, n’entraîne point la masse, si difficile à mouvoir sérieusement. Donc, d’ici longtemps, la question des chemins de fer entrera dans la voie de la réalisation définitive. Ce court tronçon yunnanais, achevé bien avant le grand tronçon setchouanais, permettra de tenter de détourner les marchandises de la voie ancienne fluviale plus longue et aussi incontestablement dangereuse. Je ne doute pas que la soie ne prenne facilement cette nouvelle route, si on sait l’y ouvrir à temps.

D’ailleurs, si l’on se renseigne sur les débouchés commerciaux du centre si important de Soui-fou, on constate que cette ville alimente, pour une grande part, le Yunnan en cotonnades, cire, péla et autres sortes, pétrole, etc. Il y a donc, vers le Sud, un courant déjà établi assez curieux, puisqu’il transporte des produits étrangers. Ce sont ces produits, au moins les cotonnades, qui pourraient suivre un trajet inverse, être fournis par notre colonie. Les cotonnades actuelles venues de Changhaï ou de Hankéou pourraient être aisément concurrencées sans doute. Quant aux deux courants remontant vers le Yang-tseu, l’un venant de Yunnan-sen, l’autre de Tali, ils se joignent à Tchao tong pour aboutir à Soui-fou et de là. a Tehong- king. Oui, quelque étrange que cela puisse nous paraître, Yunnan-fou exporte par la voie de Soui-fou.

En ce qui concerne le Kien-tchang, le trafic le plus important: soie, peaux (honatsiao) (poivre odorant), rhubarbe, se fait par le Nord gagnant Ya-tcheou ou Tcheu-tou et de 1à, descendant sur Tchong-king, mais il serait possible, sans aucun doute; de le détourner vers Yunnan-fou un certain stock de soie prend déjà cette voie. La durée de trajet est moindre, côté Yunnan-fou: on compte en effet 16 à 17 étapes entre Ning-yuan et Tcheu-fou, tandis que, par la route Guébriant, une charge atteint facilement Yunnan-fou en douze jours. Mais c’est la deuxième partie du trajet qui diffère énormément comme longueur de Yunnan-fou, en cinq à dix jours, les marchandises peuvent être à quai au port d’embarquement à Haiphong.

La longueur du trajet est, comme on le sait, de 937 kilomètres, soit un parcours total de 1.277 kilomètres depuis Ning-yuan, tandis que par l’autre voie, il est de 3.200 kilomètres jusqu’à Changhai: De Ning-yuan à Tcheu-fou, on compte en effet 400 kilomètres de Tchen-tou à Tchong-king, par la voie fluviale 360 kilomètres; et de Tchong-king à Changhai 2,260 kilomètres. Par la voie Yatcheou- kiating la distance se réduit à 3.010 kilomètres. S’il est vrai que le transport par la voie fluviale est beaucoup moins onéreux, la distance est telle que la balance pencherait en faveur du chemin de fer. Les risques sont sérieux, aussi, et, par conséquent, le taux d’assurance élevé. De plus, le délai de livraison serait d’une durée quatre à cinq fois plus grande que par la route indochinoise soit vingt jours environ pour çelle-ci, contre trois à trois mois et demi pour l’autre. Si le chemin de fer projeté, Tchen-tou-hankéou, cherchait à accaparer ce trafic, il lutterait difficilement contre l’ « Indochinois » .

En effet, si l’on considère Tchen-tou comme terminus du « Transchinois », c’est, pour les marchandises, un parcours pas inférieur à 2.500 kilomètres sur le rail jusqu’à Changhaï contre 337 kilomètres jusqu’à Haïphong, défalcation faite des deux côtés, du transport à dos de mulet depuis Ning-yuan-Fou jusqu’à la gare d’embarquement. Maintenant, si l’on admet que les marchandises, à partir de Hankéou, prendront la voie fluviale, le parcours sur rail sera, quand même, plus long que sur l’Indochinois de 813 kilomètres la longueur de la voie ferrée devant être de 1.750 kilomètres environ de Tchen-tou à Hankéou à Changhaï par steamer, transport peu coûteux, c’est vrai, mais il ne faut pas oublier que la distance est considérable 1.000 kilomètres environ et que le transbordement et autres causes de retard possibles ne permettront pas aux marchandises d’atteindre Changhaï en moins de six à sept jours. En comptant un délai égal de Tchen- tou à Hankéou, par le rail, on obtient une moyenne de treize jours pour la durée totale du transport jusqu’au lieu d’embarquement.

contribution de Michel Nivelle