Centennaire du petit train du Yunnan – Article de la quinzaine coloniale : 10 avril 1910

Le chemin de fer du Yunnan. La locomotive a fait son entrée à Yunnan-sen le 1er avril, c’est-à-dire exactement la date promise par la Compagnie des chemins de fer d’Indochine et du Yunnan qui, comme on le sait, avait, depuis deux ans, pris directement en mains l’achèvement des travaux de construction de la ligne destinée à relier le Tonkin à la capitale de la province chinoise limitrophe.

Grâce à la rapidité avec laquelle l’entreprise a été menée dans cette seconde phase, le retard qu’elle avait subi dans la première a été réparé et la mise en exploitation de la ligne sur son parcours total a pu avoir lieu, à très peu de chose près, dans les délais primitivement stipulés. L’avenir nous renseignera sur sa valeur économique, très discutée, on le sait. Elle dépend, pour une large part, du développement qui sera donné aux exploitations minières du Yunnan, et du plus ou moins d’empressement que les Chinois de cette province mettront à accueillir les capitaux étrangers et la direction des ingénieurs européens pour la mise en valeur des richesses de son sous-sol.

Nous serions bien surpris pour notre part que le sentiment de leur intérêt bien entendu ne finît pas par avoir raison de leur xénophobie et leur misonéisme. Leurs préventions ne peuvent, en effet, qu’aller en s’atténuant à la faveur des contacts plus fréquents que le chemin de fer va établir entre eux et l’Europe. Les premiers résultats de l’exploitation, alors que le rail n’atteignait pas encore son terminus, attestent d’ailleurs qu’ils apprécient l’utilité du nouveau moyen de transport mis à leur disposition et grâce auquel Yunnan-sen, séparé de Haiphong par une distance de 855 kilomètres qu’on mettait naguère une quinzaine de jours à franchir à la descente et à peu près le triple à la montée, n’en est plus aujourd’hui qu’à deux jours dans un sens comme dans l’autre .

Ils l’apprécieront d’autant plus que l’ouverture de la ligne à l’exploitation jusqu’au chef-lieu de la province arrive à point nommé pour les aider à résoudre le problème, vital pour eux, posé par les mesures restrictives de la culture de l’opium qui, jusque là constituait, avec le produit des mines d’étain et plus encore, !e principal objet d’échange et la plus importante ressource du pays. Cette culture a été, en effet, remplacée en grande partie par celle du maïs, dont les produits ont besoin d’un débouché extérieur. Grâce au chemin de fer, ce débouché leur est assuré désormais et les Yunnanais n’auront pas trop à souffrir de la diminution de l’exportation de la précieuse drogue qui leur fournissait le plus clair de leurs moyens d’existence. Ainsi, et par tous les autres échanges que la nouvelle ligne rend possibles ou plus faciles, va se créer entre le Yunnan et le Tonkin une communauté d’intérêt qui est de nature à fortifier singulièrement notre entente avec la Chine.

Comme on l’a dit très justement ces jours derniers au Sénat, la politique d’affaires est celle que comprennent le mieux les Chinois. Or, le chemin de fer est essentiellement tout à la fois le symbole et l’instrument de cette politique. Et c’est pourquoi l’achèvement de la ligne du Yunnan, si nous savons, par un traitement libéral, rendre l’usage de cette ligne facile et avantageux pour les Chinois, doit être considéré comme une garantie nouvelle de nos bonnes relations avec le Céleste Empire et, par suite, de la sécurité de notre grande possession asiatique.

contribution de Michel Nivelle