Giacomo Signoroni – Legio Patria Nostra

Insigne de la 13 DBLE – 3ème compagnie

L’engagement.

Janvier 2009, rue Foucher-Lepelletier, au domicile de Madame et Monsieur Giacomo Signoroni, autour d’un verre de Marsala, des membres du Souvenir Francais des Hauts-de-Seined évoquent son engagement dans la Légion étrangère.

Giacomo Signoroni est né en 1921 dans le petit village de Castagneto Po – connu depuis que sa native la plus célèbre est devenue Première dame de France – situé à quelques kilomètres de Turin, au cœur du Piémont. Les industries automobiles Fiat et l’agriculture, entre autres, assurent la prospérité de la région.

« J’ai assisté à pas mal d’atrocités, indique Giacomo Signoroni, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Italiens étaient les alliés des Allemands. Avec eux, cela pouvait aller. Tout a dégénéré quand les Américains sont arrivés et que la population s’est coupée en deux : il y avait d’un côté ceux qui voulaient se battre pour le Duce, de l’autre, ceux qui voulaient aider la libération du pays. Puis le Duce a été renversé et la liberté est revenue. Mais j’en avais trop vu. J’ai décidé d’émigrer en France, vers Nice et de m’installer. Après quelque temps, je me suis engagé dans la Légion étrangère ».

La 13ème DBLE.

La 13ème Demi-brigade de la Légion étrangère (DBLE) est créée en 1940, à partir de volontaires du 1er Régiment Etranger d’Infanterie et de troupe basées au Maroc. Elle est alors composée de 55 officiers, 210 sous-officiers et 1.984 caporaux et légionnaires. Destinée à combattre en Finlande contre les troupes de la Wehrmacht, elle est finalement envoyée en Norvège, à Narvik et se couvre de gloire pour son baptême du feu. Après l’armistice, son état-major est placé en Angleterre. Une partie des légionnaires reste dans ce pays et intègre les unités de la France Libre tandis que d’autres rejoignent l’Afrique du Nord. A partir de 1942, la 13ème DBLE est de tous les combats pour la libération de la France : Bir-Hakeim, Tobrouk, l’Italie puis le débarquement de Provence et la course vers les Vosges et l’Alsace.

A Nice, en avril 1945, le général de Gaulle embrasse le drapeau de l’unité, qu’il vient de décorer de la Croix de la Libération.

Dans le même temps, le tout jeune légionnaire, Giacomo Signoroni (il prend le pseudonyme de Signorini) intègre l’unité et part pour Bizerte en Tunisie. En son sein, il côtoie des hommes qui vont devenir des célébrités, comme le général Saint-Hillier (Grand Croix de la Légion d’honneur, Compagnon de la Libération),  ou Pierre Messmer, qui un jour sera Premier ministre de la France. Quelques mois plus tard, la Guerre d’Indochine est déclenchée.

La 13ème DBLE est envoyée en mars 1946 à Saigon. Sous le commandement du colonel Brunet de Sairigné, cette unité participe à tous les engagements en Cochinchine, au Cambodge et dans le centre du Vietnam, l’Annam. Les chiffres témoignent de l’âpreté des combats : entre 1946 et 1951, l’unité perd 80 officiers, 307 sous-officiers et 2.334 légionnaires.

Giacomo Signoroni : « Nous apprîmes la mort de notre chef le 1er mars 1948. Le lieutenant-colonel Brunet de Sairigné fut tué lors de l’attaque du convoi de Dalat. Il avait 35 ans et c’était un chef exceptionnel et certainement un des plus jeunes officiers supérieurs qu’aie connu la Légion étrangère ».

A partir de 1951, la 13ème DBLE est transportée dans le Tonkin où, là encore, elle s’illustre à de nombreuses reprises. En novembre 1953, l’Opération Castor est décidée. Il s’agit de réoccuper les bâtiments d’une ancienne garnison japonaise dans le village reculé de Diên Biên Phù, à l’ouest du Tonkin, proche de la frontière du Laos. Le but étant d’attirer en cet endroit un maximum de forces du Vietminh et de les battre. Définitivement. Il s’agit également de fermer la frontière avec le Laos pour éviter la contagion communiste. Les 1er et 3ème bataillons y sont envoyés.

Largage au-dessus de Diên Biên Phù – Fin 1953.

La mission

L’assaut contre le camp retranché de Diên Biên Phù est déclenché le 13 mars 1954, contre le point d’appui (PA) Béatrice, alors sous le commandement du commandant Pégo. C’est une pluie d’obus qui s’abat sur le PA, et ce à l’étonnement général. Le colonel d’artillerie Piroth avait juré qu’aucun obus ne serait tiré sur le camp. Prenant acte de son erreur, il se suicide quelques jours plus tard à l’aide d’une grenade. En fait, les troupes du Vietminh ont mobilisé des dizaines de milliers d’hommes pour creuser des galeries un peu partout à l’intérieur des collines qui entourent le camp retranché. Elles y ont placé des canons, qu’elles peuvent aussitôt le coup parti rentrer dans leur cachette. Le commandement français devient fou ne sachant d’où viennent les coups.

Quant au PA Béatrice, comme les autres PA d’ailleurs, ses constructions n’ont absolument pas été faites en prévision de bombardements. En quelques heures, les voilà pulvérisées…

Giacomo Signoroni : « En qualité de Chef de la Section Pionniers, je fus convoqué par le lieutenant Bacq, commandant la C.C.B. (Compagnie de Commandement du Bataillon) du 1/13 DBLE (1er bataillon de la 13ème demi-brigade), le 14 mars 1954 vers 8 heures. Etaient présents : le chef de bataillon Brinon, commandant le 1/13 DBLE, le lieutenant de Chapotin, officier de transmission du 1/13 DBLE et le capitaine Stermann, médecin-chef du 1/13 DBLE.

Une trêve venait d’être signée jusqu’à midi. Le lieutenant Bacq me donna des explications sur ma mission :

  • Rassembler au complet sans armes.
  • Tenue de combat, casque lourd, toile de tente, couverture, bidon plein d’eau, le maximum de brancards, pelles de campagne.
  • Pas d’insigne de l’unité et du grade.

Mais les officiers revinrent sur ce dernier point devant ma ferme attitude à vouloir conserver les insignes de grade.

Ma mission consistait en les éléments suivants :

  • Me rendre sur le PA Béatrice – le camp retranché de Diên Biên Phù était entouré de PA aux noms de Gabrielle, Anne-Marie, Huguette, Dominique, Eliane, Claudine, Béatrice, Françoise et Isabelle – perdu la nuit du 13 au 14 mars 1954, après de durs combats.
  • Récupérer les blessés, les morts, reconnaître les corps et en particulier ceux des officiers.
  • Me rendre compte de la situation sur le PA Béatrice.

Deux Dodge 6×6 furent mis à ma disposition, plus une jeep pour l’équipe médicale, dirigée par le capitaine Stermann, assisté du caporal infirmier Sgarbazzini et deux infirmiers de son équipe médicale.

L’organigramme de ma section était ainsi composé :

  • Moi-même, adjudant Signorini.
  • Sergent Trumper (qui fut tué le 17 mars 1954).
  • Caporal-chef Miguel Leiva.
  • Caporal Joss Mirko.
  • Les légionnaires : Gutierez, Pregati, Clément, Redina, Bosio, Blanc, Andreis, Nitch, Radwaski, et d’autres encore dont les noms m’échappent plus de cinquante ans après les faits. »

En direction du PA Béatrice

« A 9h, à bord de nos véhicules, nous démarrâmes en direction de l’antenne chirurgicale où nous retrouvâmes l’équipe médicale du capitaine Le Damany, médecin-chef de la 13 DBLE, ainsi que le Père Trinquant, aumônier de la demi-brigade. En tête du convoi se trouvaient les quatre véhicules de l’équipe médicale, battant pavillon de la Croix Rouge : la jeep du capitaine Le Damany, une ambulance, la jeep du capitaine Stermann et le véhicule du Père Trinquant. Suivaient mes deux Dodge plus un camion GMC pour les légionnaires.

Le convoi prit la direction du PA Béatrice. Un kilomètre avant l’arrivée sur le PA, je remarquai deux emplacements de mines antichars, de chaque côté de la route, ainsi que plusieurs autres pour des armes automatiques, et en particulier des SKZ, placés à mi-hauteur sur les pentes qui surplombaient le chemin. De même, je vis des recoins de combats, destinés certainement à une compagnie pour une embuscade. Tous ces dispositifs ne pouvaient être là que pour nous empêcher de dégager Béatrice.

A l’entrée du PA, la barrière était fermée. La chapelle était intacte. Par contre, le terrain tout autour était labouré par les obus et les mortiers. Notre convoi stoppa à la chapelle. Je fis mettre pied à terre et disposait les véhicules pour le retour. Ordre était donné aux chauffeurs de ne pas bouger, prêts à toute éventualité.

Sur Béatrice même, régnait un silence pesant. Un silence de mort et de désolation. Les abris étaient démolis, les tranchées pleines de terre, à la suite des éclatements des obus ou des grenades. C’était évident : la lutte avait dû être dure et farouche. Mais, en dépit de ces images de dévastation, j’avais un sentiment étrange : il y avait une présence vivante autour de nous. Etait-elle amie, ennemie ? Nous partageâmes cette intuition. Aussi, disposais-je mes légionnaires en plusieurs équipes, et nous commençâmes la montée sur Béatrice. Nous progressions difficilement, fouillant avec minutie les abris à la recherche de survivants.

Avec l’équipe du caporal-chef Leiva, je me rendis à l’abri du PC (poste de commandement) du commandant Pegot, situé au sommet du point d’appui. Le Père Trinquant me rejoignit. Le toit de l’abri était effondré ; les créneaux et l’entrée étaient bouchés par des éboulements. Il était impossible de constater si des corps se trouvaient sous les décombres. Je présumai que les restes du commandant Pegot, du capitaine Pardi étaient ensevelis, avec tous les occupants du PC. »

Face-à-face avec un officier Vietminh

« Je descendis vers la rivière appelée Nam Youm (il faut la traverser en quittant le PC du général de Castries, Béatrice étant une des collines les plus éloignées). Partout régnait ce même silence de mort. A mi-chemin, un officier Vietminh, dont j’avais remarqué la présence (certainement un commissaire politique) m’interpela et me signala que sur cette piste se trouvaient trois blessés, abandonnés, surpris comme les autres par l’attaque de nuit. Mais pour quelle raison auraient-ils été laissés là, alors que, visiblement, les Bodoïs avaient emporté les morts et les blessés du Corps Expéditionnaire ? Tout à ma mission, je remontai vers le sommet du PA et, face à la chapelle, nous trouvâmes un mort, à moitié enseveli sous les décombres. Je ne découvris pas son identité.

Le même officier Vietminh m’interpela à nouveau et m’indiqua que tous les survivants officiers, sous-officiers et légionnaires avaient été conduits vers des camps de captivité, les blessés vers des infirmeries et des hôpitaux, et que les morts avaient été ensevelis dans les abris effondrés et dans les tranchées. A ma demande sur le sort des officiers, sa réponse fut la suivante : « Tous les prisonniers seront bien traités chez nous ». Puis, il me confia une bouteille de rhum en me disant : « Pour vos blessés ». Enfin, il me serra la main et me souhaita bonne chance.

Plus de cinquante ans après, je me pose encore la question : comment cet officier ennemi a pu s’adresser à moi, alors que j’étais en mission, et entouré de trois officiers, portant bien visibles leurs galons ? Peut-être s’agissait-il encore une fois de cette philosophie vietnamienne dont on parlait tant.

Vers 11h, un tir d’artillerie fut déclenché depuis les camps retranchés. Les obus de 155 visaient les collines entourant le camp retranché de Diên Biên Phù. Alors qu’un cessez-le-feu était en vigueur, pourquoi ce tir, sachant que des éléments français se trouvaient en ce moment même en zone Viet pour effectuer une mission humanitaire. Nous continuâmes rapidement nos recherches et nous récupérâmes les trois officiers dont avait parlé notre ennemi. Il s’agissait des lieutenants Pungier, Jego, et Carrière. Mais le temps de notre mission étant compté, nous dûmes rentrer à la base non sans avoir essuyé un nouveau tir d’artillerie à hauteur de l’antenne chirurgicale. Nous eûmes à déplorer un blessé léger.

Et je rendis compte de ce que j’avais vu à l’officier des renseignements et retrouvai mon unité vers midi. Plus de cinquante-cinq après, mon cher Rignault, je tiens à préciser une fois pour toutes et en particulier à ceux qui écrivent des bons livres, que les artisans de cette mission sont bien ceux cités et non d’autres. Il s’agissait bien de la 13ème DBLE et en particulier de la Section Pionniers ».

Vue aérienne de Diên Biên Phù – Fin 1954 – au centre, la rivière et la vallée de la Nam Youm. Entre les deux points, l’ancienne piste d’atterrissage.

A Diên Biên Phù

« A Diên Biên Phù, nous avons tous fait notre travail en soldat. Je prends en exemple les légionnaires de la Compagnie de Commandement du Bataillon (CCB) du 1/13 DBLE, qui avec sa Section Pionniers fut à toutes les pointes des combats, soit comme section de choc, soit avec les M5 Extincteurs Spéciaux que les anciens connaissent très bien et qui étaient célèbres pour leur efficacité dans les préparations d’attaque ou pour enrayer les assauts ennemis.

La Section Mortiers de l’adjudant Adamait fut elle-aussi à la pointe des tous les combats. Pour sa part, elle agissait soit en tir d’appui et de barrage, soit en unité de combat, ce qu’elle fit à la fin après avoir détruit ses dernières pièces. Il faut également citer le travail remarquable de l’unité de transmission, avec les caporaux Guenzi et Piccinini, le sergent Ladrière et le sergent-chef Toussaint et tant d’autres encore. Quant au Service de santé avec Stermann, c’est bien simple, il était présent à chaque instant.

Je tiens également à préciser que les derniers à passer la Nam Youm, le 8 mai 1954 – c’est-à-dire le lendemain de la reddition du chef du GONO (Groupement Opérationnel du Nord Ouest, le général de Castries) – furent les éléments de la CCB 1/13 aux ordres du capitaine Coutant, la Section Pionniers, la transmission, plus les survivants des trois compagnies du capitaine Capeiron, du lieutenant Viard, du lieutenant Bacq et du lieutenant de Chapotin. D’autres noms m’échappent. Ils passèrent vers 15h après avoir soutenu les assauts des Bodoïs sur Eliane 2.

Après avoir tiré le dernier obus, la Section Mortiers détruisit l’unique pièce et prit part au combat comme unité fantassin. Le sergent Ladrière et le sergent-chef Toussaint en firent de même après la destruction des matériels de transmission. Les caporaux Guenzi et Piccinini assurèrent la liaison radio jusqu’au dernier moment avant la destruction de leur matériel.

C’était la fin. Les Viet arrivaient de partout. Nous étions encerclés, prêt au sacrifice suprême. Piccinini et Guenzi brûlèrent le fanion de la compagnie. Ordre était donné de nous rendre. L’humiliation.»

Pour ses actes de guerre et de bravoure, Giacomo Signoroni reçut la médaille militaire, sur le champ de bataille. La fin de l’aventure indochinoise est connue. Après le désastre militaire, et face à des dizaines de milliers de soldats ennemis, les troupes du Corps Expéditionnaire capitulent. S’ensuit une marche de près de 700 kilomètres, dans des conditions épouvantables, à travers la jungle pour rejoindre l’est du pays (Giacomo Signoroni est enfermé au Camp 73).

Les pertes humaines à Diên Biên Phù sont d’environ 3.000 morts au combat ou disparus, plus de 4.400 blessés. Le 8 mai 1954, les hommes du général Giap font 10.948 prisonniers. Au moment de la restitution de ces mêmes prisonniers, en septembre 1954, 7.658 hommes manquent à l’appel…

L’Algérie

Au retour de l’Indochine, Giacomo Signoroni est muté dans un Régiment Etranger de Cavalerie. Entre 1954 et 1960, il combat les fellaghas à la frontière marocaine dans la région de Colomb-Béchar. Raccourci tragique de l’Histoire : c’est en ces lieux que disparut le 28 novembre 1947, le général Leclerc, qui avait été à le premier chef du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient en 1945-46.

Là, Giacomo Signoroni prend part à moult opérations dans les montagnes de l’Atlas Saharien. Puis il suit son unité à Saïda, dans l’arrière-pays oranais, non loin de Sidi-Bel-Abbès, patrie d’origine de la Légion. D’ailleurs, la perte de l’Algérie sera un traumatisme pour elle, comme pour de nombreuses unités. Même si la Légion perd dix fois moins d’hommes qu’en Indochine, de nombreux militaires pensent qu’ils ont été lâchés par le pouvoir politique, quand la victoire par les armes, elle, était acquise. Contrainte de quitter le pays, la Légion étrangère brûle en partant le pavillon chinois, pris en 1884 à Tuyen Quang, et qui ne devait pas quitter Sidi-Bel-Abbès. Elle emporte les reliques du Musée du Souvenir et exhume les cercueils du général Rollet (Père de la Légion), du prince Aage du Danemark et du légionnaire Heinz Zimmermann, dernier tué d’Algérie. Elle s’installera à Aubagne, dans le département des Bouches-du-Rhône.

Mais Giacomo Signoroni n’est déjà plus concerné…

Après les guerres…

En 1958, il se marie. De cette union, naissent une fille puis un garçon. Peu avant la naissance de son premier enfant, il quitte l’armée. Il est des rôles, des aventures, qui le temps venu, l’expérience acquise, vous semblent plus petits que le plus petits des Etres.

Le retour en France a lieu en 1961. Giacomo Signoroni, officier de la Légion d’honneur, commence une nouvelle vie, une nouvelle carrière au sein de plusieurs entreprises de sécurité et des centres de surveillance.

SOURCE : cet article est reproduit sur notre site avec l’aimable autorisation de M. Frédéric RIGNAULT, Président du Comité – Délégué général adjoint pour les Hauts-de-Seine /  Souvenir Français – Comité d’Issy-les-Moulineaux ( www.souvenirfrancais-issy.com ; www.souvenir-francais-92.org )