Les messageries fluviales en 1900

Les messageries fluviales en 1900

Le développement commercial des régions de l’Indo-Chine, arrosées par le Mékong, est si intimement lié à la navigation du grand fleuve, qu’il nous paraît tout à fait indiqué de relater les étapes diverses par lesquelles dut passer la Compagnie des Messageries fluviales de Cochinchine avant d’être arrivée au brillant résultat atteint par elle aujourd’hui (1).

En 1881, lorsque cette Compagnie se constitua, les parcours qu’elle devait effectuer représentaient un total annuel de 52.542 lieues marines. Il lui fallait, pour assurer le fonctionnement de ses services, dont le point terminus était alors Phnom-Penh, la capitale du Cambodge : 2 bateaux de 300 tonneaux, 4 bateaux de 120 tonneaux, 2 grandes chaloupes, 1 petite chaloupe.

En 1886, ses parcours annuels représentaient un total de 71.500 lieues marines.

Elle avait en service : 9 paquebots et 6 chaloupes.

Elle avait prolongé sa ligne principale du Cambodge, d’un côté jusqu’à Kratié, considéré alors comme l’extrême limite de la navigation à vapeur sur le Mékong ; de l’autre, jusqu’à Battambang, en territoire siamois, et attiré en Cochinchine tout le trafic de cette riche région.

En 1887, une de ses chaloupes franchissait les premiers rapides du Mékong, dont elle remontait le cours jusqu’aux cataractes de Khong, ouvrant ainsi la voie aux diverses missions officielles qui furent, les années suivantes, chargées de rechercher les passes praticables dans les dits rapides.

En 1888, un de ses vapeurs, le Cantonnais , remontait à son tour les mêmes rapides et faisait la preuve qu’un service commercial par bateaux à vapeur y était possible pendant plusieurs mois de l’année, au moment des hautes eaux.

Ce service était organisé, deux ans après (1890), jusqu’à Stung-Treng, au moyen d’un vapeur à grande vitesse à petit tirant d’eau, d’un type nouveau, créé spécialement par la Compagnie pour la navigation dans les rapides.

Entre temps, les services de la Cochinchine et du Cambodge avaient été développés et améliorés par la mise en ligne d’un nouveau paquebot, le Battambang , et de plusieurs chaloupes affectées à de petits services régionaux.

En 1891, les Messageries fluviales de Cochinchine se chargeaient du service maritime entre Saïgon et Bangkok qu’elles effectuaient avec le vapeur J.-B. Say , dont on connaît le rôle glorieux et la fin tragique au combat de Paknam, le 13 juillet 1893. C’est le capitaine du J.-B. Say , M. Gicquel, qui pilotait, sous le feu des batteries siamoises, l’aviso l’Inconstant , envoyé à Bangkok par l’amiral Humann. Le J.-B. Say éclairait la marche de notre flottille, lui montrant la route à suivre, lorsqu’un boulet siamois vint le couler !

Depuis 1887, la Compagnie de Messageries fluviales de Cochinchine n’a cessé de, s’occuper d’ouvrir le Laos au commerce français et a puissamment secondé les officiers chargés, dans ce but, de reconnaître le cours du Mékong et d’en faire l’étude hydrographique,.

C’est elle qui a construit, pour le compte du Gouvernement, sur le type du vapeur spécial créé par elle pour la navigation des rapides, les canonnières Massie et La Grandière , qui, sous la conduite du lieutenant de vaisseau Simon, furent lancées en 1893 au-dessus des cataractes de Khong et remontèrent le grand fleuve jusqu’à son extrême limite navigable, à plus de 2.000 kilomètres de la mer ! (Voir à ce sujet  » La navigation du Mékong « )

La navigabilité du fleuve ayant été ainsi reconnue, les Messageries fluviales de, Cochinchine se préoccupent aussitôt d’y établir un service commercial.

En 1895, elles signaient avec M. le Gouverneur général de Lanessan, un contrat pour l’organisation de ce service et firent immédiatement construire quatre nouveaux bateaux à vapeur du type spécial, à grande vitesse et petit tirant d’eau, seul propre a cette navigation difficile.

Aux hautes eaux de 1897, trois de ces bateaux étaient à leur tour transbordés à travers l’île de Khône, au prix de travaux et d’efforts considérables, et lancés dans le bief moyen du fleuve. L’un de ces bateaux était de suite affecté à un service régulier entre Khong et Pakmoun, sur un parcours de 100 kilomètres. Les deux autres franchissaient les rapides de Khemmarat, suivant la route ouverte trois ans auparavant par les canonnières, et un nouveau service régulier de navigation à vapeur était organisé dans le bief supérieur de Mékong entre Savannakek et Vien-Tiane, sur un parcours de plus de 700 kilomètres, avec prolongement jusqu’à Louang-Prabang (425 kilomètres), au moyen de convois réguliers de pirogues.

Le quatrième bateau doublait le service établi en 1890 dans les premiers rapides du Mékong, entre Kratié, Stung-Treng et Khône.

L’année suivante, la Compagnie des Messageries fluviales de Cochinchine complétait sa flottille du Laos en rachetant au Gouvernement la canonnière Massie et en l’affectant au même service.

Nous ne croyons pas utile d’insister sur les efforts qu’il a fallu faire, les difficultés de tout genre qu’il a fallu vaincre pour installer et organiser successivement tous ces services dans une région peu connue, loin de tout centre important ; il nous suffira de dire que le seul transbordement des bateaux à Khône, a nécessité la réfection presque complète de 6 kilomètres de chemin de fer à voie de 1 mètre. Plus de 300 hommes, Annamites, Chinois, Laotiens ont travaillé pendant quatre mois sans désemparer à cette opération dont la préparation avait demandé plusieurs années d’efforts soutenus et de sacrifices continuels.

Le Donaï (paquebot de 800 tonnes)

Le Battambang (paquebot de 668 tonnes)

En même temps qu’elle étendait ses lignes vers le Nord, en remontant le Mékong, la Compagnie de Messageries fluviales de Cochinchine développait et augmentait ses lignes anciennes au Cambodge et en Cochinchine.

Le service du Cap est aujourd’hui quotidien.

Des annexes aux lignes principales étaient créées un peu partout : dans la presqu’île de Camau, dans le Bas-Bassac, etc., des lignes nouvelles de chaloupe rendaient quotidiennes les communications des arrondissements de l’Ouest, Soctrong, Cantho, Long-Xuyen et Rachgia avec la capitale. Des bateaux nouveaux, des chaloupes de plus fort tonnage venaient renforcer le matériel ancien. L’importance des ateliers de Saïgon augmentait dans une proportion considérable. Des agences, des magasins, des ateliers étaient installés dans les principaux ports de l’intérieur, au Cambodge, au Siam, au Laos.

Le Bassac (vapeur de rivière de 214 tonnes)

Le Colombert (vapeur de rivière de 105 tonnes)

Remplaçant avantageusement les chemins de fer, à peu près impossible à construire dans ces pays au sol alluvionnaire ou des travaux d’art très coûteux seraient à chaque pas nécessaires, utilisant le magnifique réseau des voies navigables dont la nature a recouvert, comme d’un filet à mailles serrées, ce riche pays, les MESSAGERIES FLUVIALES assurent des communications fréquentes et régulières entre tous les centres administratifs ou commerciaux de quelque importance.

Aujourd’hui leurs bateaux parcourent annuellement :

En Cochinchine et au Cambodge, plus de

Au Laos, plus de

Entre Saïgon et Bangkok par le Golfe du Siam, plus de

Entre Saïgon et Bangkok par le Golfe du Siam, plus de

lieues marines.

123.000

20.000

12.000

_______

135.000

Leur flotte se compose de 34 bâtiments et chaloupes dont quelques-uns jaugent près de 800 tonnes.

Les messageries fluviales de Cochinchine

Leurs ateliers de Saïgon emploient plus de 300 ouvriers et ont construit de nombreuses chaloupes pour l’Administration locale aussi bien que pour leurs propres services.

Ils sont outillés pour faire les plus grosses réparations et seconder, au besoin, l’arsenal de Saïgon.

D’ailleurs, dans nombre de circonstances, les Messageries fluviales de Cochinchine ont donné la mesure de leurs moyens d’action.

On conçoit dès lors le rôle important qu’a joué cette Compagnie dans le développement commercial et agricole de la colonie et celui qu’elle peut jouer encore, étant donné l’esprit d’initiative et l’intelligente activité des hommes qui la dirigent.

(1).- Plus de 64 voies navigables sont accessibles aux navires de fort tonnage; plus de 3.000 sont parcourues par la petite batellerie !

E. LAGRILLIÈRE-BEAUCLERC

( » A Travers l’Indo-Chine « )