La fin de la Concession française de Shanghai

De Histoire de Chine

rédigé par Pasquale della Città

Ironie de l’histoire : c’est un régime collaborationniste – celui de Vichy – qui, sous la pression des occupants nippons et dans le cadre d’un accord avec les autorités chinoises non moins collaborationnistes de Wang Ching-Wei, a mis fin au régime d’extraterritorialité prévalant depuis  la signature des traités inégaux au XIXème siècle.

Quai de France. Shanghai années 30.

Non moins ironique à première vue, cet accord ne sera pas reconnu par le gouvernement de la France Libre, qui livrera un combat d’arrière-garde au gouvernement d’une Chine libérée du joug japonais et pressée de recouvrer une indépendance et une dignité si longtemps bafouées par les puissances étrangères.

Avenue Pétain. Shanghai années 30.

Marie-Claire Bergère, auteur de nombreux ouvrages sur la Chine contemporaine, a publié en 1997 dans la Revue d’histoire du 20ème siècle, une étude ayant pour thème « L’épuration à Shanghai, 1945-1946 », thème qu’elle analyse sous le prisme de la mise en cause et de l’arrestation de collaborateurs français du régime « fantoche » de Wang Ching-Wei.  Il s’agit d’une recherche très documentée, basée sur l’étude d’archives du ministère français des Affaires Etrangères, ainsi que celles de la municipalité de Shanghai.

A l’issue du second conflit mondial, la Chine exsangue aura à cœur, tant pour des raisons de politique interne que vis-à-vis de l’étranger, de tourner définitivement la page honteuse des traités inégaux et d’empêcher au lendemain de la guerre, toute velléité étrangère de restauration  du système des concessions.

Wang Ching-Wei trinquant avec des dignitaires nazis

A partir de 1943, en application de l’accord de juillet, plusieurs centaines d’agents français dépendront directement de supérieurs chinois du régime collaborateur (Brigade Maron).

Le Bureau de la Sûreté

Au lendemain de la guerre, la France, pays vainqueur mais dont l’image est fortement ternie en Chine, entreprend à la fois de juger certains de ses ressortissants accusés de collaboration (pro-nazie), ainsi que de raffermir quelque peu son autorité au sein de l’ancienne concession, en essayant notamment de récupérer nombre de bâtiments publics qui n’avaient pas été inclus dans l’accord de 1943.

Les autorités chinoises prennent fort mal la chose et accusent la France de vouloir rétablir le régime de la Concession.

Robert Sarly, l’un des officiers de police les plus gradés au sein de la Concession, sera, en compagnie de plusieurs de ses anciens collègues, en quelque sorte le catalyseur de cette vive crise qui se prépare entre les deux gouvernements.

Le Consulat

Sarly intègre le corps de la police à la fin des années 20, à une époque très troublée où l’équilibre social ne se fait qu’au prix de relations très équivoques avec la pègre locale.

Elément brillant et remarqué, il gagne la confiance du capitaine Etienne Fiori, commandant de la police et artisan de la bonne entente avec le légendaire et véritable âme damnée de la ville, Tu Yue-Sheng.

Tu Yue-Sheng


Il est notamment très probablement mis dans la confidence du coup du 27 février 1927, marquant la rupture brutale et sanguinaire de la politique de compromis de Tchang Kaï-Shek avec le P.C.C. et gagne certainement du galon en permettant l’arrestation de plusieurs militants communistes réfugiés au sein de la concession française.

Officiers de police français

Il traverse en agent avisé et prudent cette période trouble de l’administration française dont il est établi qu’une partie des ressources provient indirectement des profits liés à la vente de l’opium et à une prostitution extrêmement répandue.

La Brigade Criminelle

Il réussit toutefois à se maintenir dans la nouvelle administration mise en place en 1932 et demeure un élément pivot de la relation délicate avec les agents de la Bande Verte qui, même reléguée dans la Ville Chinoise, n’en demeure pas moins très active au sein de la Concession.

Tchang Kaï-Shek (avec 2 journalistes écossais)

Sous le régime de Wang Ching-Wei et avec l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain et la mise en place du régime de collaboration en France, l’intégrité de la structure administrative n’est pas altérée et la machine fonctionne normalement en bonne intelligence avec les Japonais, qui régulièrement, exigent la remise d’agents communistes réfugiés dans la Concession. La brigade Maron assurera parfaitement ce rouage délicat.

La prison de la Concession

En juillet 1943, l’accord sur la fin du régime des concessions change la donne dans la mesure où la gestion de la police revient dans le giron chinois. Nombre d’officiers de police français accepteront alors de travailler dans un cadre chinois et de dépendre désormais du siège tant redouté de la police, du 76 Jessfield road.

Officiers de police français et japonais

Au lendemain de la guerre, les représentants en Chine de la France libérée vont tenter de profiter de la période de flottement suivant  l’effondrement japonais et précédant la reprise en main effective du gouvernement nationaliste à Shanghai, en tentant de reprendre possession d’immeubles qui n’avaient pas été inclus dans l’accord de juillet 1943.

Mais le véritable élément déclencheur de la crise, c’est la décision des autorités consulaires françaises d’exfiltrer vers l’Indochine des ressortissants français pro-nazis de la Concession, afin de les juger dans le cadre d’une juridiction française.

Officiers de police du Poste Mallet

Les Chinois vont très habilement exploiter ce qu’ils vont présenter vis-à-vis de l’intérieur comme de l’extérieur comme une tentative de rétablissement du système d’extra-territorialité et affirmer  leur droit légitime à juger ces individus. Réclamant en vain leur retour, alors qu’ils ont été embarqués de force sur un navire français, le parquet de Shanghai décide alors d’inculper Sarly ainsi que d’autres anciens policiers de la Concession, au motif de collaboration avec le gouvernement fantoche pro-japonais.

Officiers de police français

Le procès va se dérouler en deux étapes et sur deux ans, de l’automne 45 jusqu’à février 47. Son début mobilise largement l’opinion publique chinoise, largement nourrie d’informations par une presse tout acquise à l’accusation. Les résidents français de Shanghai de leur côté, ainsi que le Ministère des Affaires Etrangères, apportent largement, bien que sans doute pour des motifs différents, leur support à Sarly considéré par les premiers comme un des piliers de l’autorité française sur place et lui fournissent de précieux témoignages et pièces de dossier qui permettront d’affaiblir très sensiblement les éléments de l’accusation.

Officiers de police français

Toutefois, il apparaît que la France, a dès le début de 1946, tourné la page de sa présence à Shanghai et privilégie désormais prioritairement la reprise en main de l’Indochine au nord du 16ème parallèle,  le traité de Postdam d’août 1945 ayant autorisé les troupes chinoises de Tchang Kaï-Shek à occuper ces territoires, abandonnés par l’occupant japonais vaincu.

Résidence du Consul de France

Le 28/2/46, la France et la Chine signent donc deux traités majeurs, le premier, par lequel la France renonce à tout droit d’extraterritorialité en Chine et rétrocède ses concessions, le second réglant la question du départ des troupes chinoises d’occupation en Indochine du Nord.

Le document officiel (portant la signature du consul Meyrier) daté du 28/2/1946 par lequel le gouvernement de France Libre rétrocède les Concessions.
Poste de police Pétain

Le procès Sarly, qui va se clôturer dans l’indifférence quasi générale en 1947 par la relaxe du prévenu, n’en demeure pas moins d’une importance symbolique certaine, car « il reste le premier grand procès d’un étranger dans une Chine redevenue souveraine » portant  également la marque de « l’impérialisme agonisant ».

Bibliographie :

  • L’article de MC Bergère, paru dans la Revue d’histoire du 20ème siècle en 1997, est également en libre consultation sur le site de Persée: http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1997_num_53_1_3593 (Est paru également en anglais dans Wartime Shanghai 1998).
  • The Shanghai Green Gang; Brian Martin. Univ. of California Press,1996.
  • Wartime Shanghai; sous la dir. de Wen Hsin-Yeh; Routeledge, 1998.
  • Policing Shanghai; Frederick Wakeman. Univ. of California Press, 1995.
  • Dans le jardin des aventuriers; Joseph Hsieh (Marie Holzman). Seuil, 1998.