Emouvante rencontre mécanique au musée automobile du Mans avec le Dr. J-P. Jouette

Le Musée automobile du Mans est évidemment bien connu du grand public pour son imposante collection de bolides ayant participés depuis 1923 aux fameuses 24 Heures, la course d’endurance la plus célèbre du monde .

Les amateurs et les collectionneurs savent qu’il recèle aussi un très grand nombre d’autres véhicules de toutes époques dont l’emblématique autochenille « le scarabée d’or » de Georges Marie Haard héros malheureux de la Croisière Jaune André Citroën réalisée entre 1932 et 1934.

Mais tout le monde, ou presque, ignore qu’il présente aussi un véhicule insolite à trois roues, « un motori » de la marque française Contal, sorte de gros triporteur muni d’un moteur 2 temps, monocylindre , refroidissement par eau (très belle solution d’après les spécialistes) développant une puissance de 6 chevaux, similaire à celui qui osa prendre le départ « du Prodigieux Défi », le raid automobile Pékin-Paris effectué durant l’été 1907 ,soit exactement un quart de siècle avant la célèbre Croisière Jaune et injustement tombé dans l’oubli le plus total, alors qu’il s’agit là de l’une des plus extraordinaires aventures mécaniques de tous les temps .

ETIQUETTE DU MOTORI AU MUSEE DES 24H (PHOTO DE L’AUTEUR)

En 1907, l’automobile, invention purement européenne dans laquelle la France tient une place de tout premier plan , a déjà largement acquis ses lettres de noblesse . « La Belle époque » vantée pour sa frivolité est aussi celle d’une audace technologique sans limite. La Tour Eiffel, édifice provisoire simplement réalisé pour l’exposition universelle de 1900 en reste bien sûr le plus bel exemple , quand aux progrès du nouveau mode de locomotion sous l’impulsion d’infatiguables inventeurs et grâce à un travail acharné de toutes les catégories sociales ils se révéleront à proprement parler fulgurants.  Sur une période de dix ans , quelques simples chiffres parlent d’eux-mêmes : En 1894 c’est en France qu’à lieu la première course automobile du monde sur route organisée par le Petit Journal , elle relie Paris à Rouen , un parcours qui avait déjà vu naître la première ligne de chemin de fer française et la première course cycliste du monde sur route. La distance de 120 kilomètres est parcourue en 10 heures par le vainqueur à une moyenne de 12 kms/heure sur une voiture de marque française.

Jusqu’en 1900 les compétitions se déroulent sur des parcours nationaux correspondants à des lignes ferroviaires emblématiques , Paris-Trouville , Paris – Bordeaux, Paris –Toulouse , lesquelles font la fierté des compagnies privées de l’époque. Le but est bien évidemment de démontrer les possibilités du nouveau mode de locomotion individuel.

Cette démarche avait d’ailleurs été déjà suivie par les  « vélocipédistes » ( milieu en pleine effervescence , dont certains éléments devinrent des automobilistes puis des avionneurs célébres comme Farman) . La presse écrite détenant alors le monopole des médias on retrouve d’ailleurs souvent le même soutient des même journaux , lesquels se livraient une concurrence sauvage et voyaient dans ces compétitions une occasion exceptionnelle d’ attirer et de fidéliser une foule de lecteurs avides de performances , passionnés de vitesse et de Progrès ! Mais dés le début du siècle nouveau les parcours nationaux de ville à ville semblent bien limités pour prouver les possibilités exceptionnelles des nouvelles machines , c’est donc à travers une Europe alors à son apogée ,et sur des parcours de capitale à capitale , que s’affronteront les nouveaux chevaliers en des duels d’hommes ,qui seront aussi des affrontements de théories et de conceptions techniques .

Dés 1901 a lieu Paris – Berlin , la première grande course internationale au règlement impitoyable , les concurrents ne disposant que d’un quart d’heure à la fin de chacune des trois étapes pour effectuer les réparations nécessaires . La « course des fous » ainsi baptisée par certains journalistes (qui changeront promptement d’avis dés l’arrivée ) est parcourue à la vitesse moyenne de 70 kms/Heure par le vainqueur .

L’industrie automobile nationale vit d’ailleurs là sa plus belle heure de gloire plaçant les dix sept premiéres voitures en tête du classement ,remportant la palme dans chaque catégorie engageé ( voiture lourde ,voiture légère , voiturette ,cycle car et tricycle !) la premiére voiture allemande se classant en dix huitième position .Notons qu’ à ce moment la France compte plusieurs centaines de constructeurs , de toutes tailles , dont la plupart ne survivront pas au premier conflit mondial , seuls deux noms de cette glorieuse époque existent encore aujourd’hui ! L’année suivante en 1902 est organisée Paris-Vienne « la course des courses » qui suscite un engouement sans précédent , à la hauteur des difficultés à vaincre ,tout particuliérement la traversée de l’Arlberg à plus de 1800 m d’altitudes sur des chemins muletiers pratiquement impraticables ,longues suite de virages en épingles à cheveux aux montées impressionnantes ,aux descentes vertigineuses.

Une fois de plus c’est une voiture française qui remporte la victoire ,à plus de 62 km/h arrêts compris ,devant un jury de commissaires incrédules surpris en plein repas ,arrivés en toute hâte pour acceuillir un vainqueur qu’ils n’attendaient pas de si bonne heure ! L’exploit se passe d’ailleurs de tout commentaire : L’Arlberg est vaincu , mais aussi l’Express de l’Arlberg , le train rapide remplit de spectateurs dépités de n’avoir pu assister à l’arrivée de la course qui rentre en gare sept heures après que le vainqueur ait franchi la ligne !

En 1903 enfin après Paris -Berlin et Paris -Vienne , . Les courses de capitale à capitales soulevant un intérêt passionné voir passionnel , Paris -Madrid sonnera le glas des courses sur routes . Au départ de Paris-Madrid 250 concurrents s’affrontent . « Parmis eux toute l’aristocratie des pilotes et déjà de très fortes écuries d’usine . Si toutes les précautions ont été apparement prises pour que la course se déroule dans les meilleurs conditions de régularité il n’en est hélas pas de même pour la sécurité des spectateurs .

Les bolides équipés de roues en bois et de freins sommaires foncent à des allures inouies sur des routes non asphaltées dans un épais nuage de poussiére , emmenés par des pilotes aveuglés qui repérent le plus souvent la route sur la cime des arbres ! Hallucinés par la vitesse ( plus de 100 km /h ) , les moteurs lancés à plein régime , enivrés par l’espoir de victoire.  C’est au travers d’une marée humaine qui au mépris de tous les dangers s’écarte puis de referme sur eux tout au long du parcours ,que les concurrents se frayent un passage !>> ( Yves Richard )

Ces conditions de courses à proprement parler dantesques s’accompagnent bien évidemment d’une épouvantable hécatombe qui amène les pouvoirs publics à arrêter la course à Bordeaux au terme de la première et ultime étape de cette épreuve dramatique remportée à l’incroyable moyenne de 105 km/h par le vainqueur toujours français sur une voiture française … Dans les jours suivant l’ interruption de cette course tragique un décrét sera promulgué interdisant définitivement les courses automobiles sur routes .

Une des pages les plus exaltantes de l’aventure automobile est tristement et définitivement tournée . Les compétitions devront désormais se contenter de tourner en rond sur des circuits fermés , comme celui qui depuis plusieurs années déjà longe la plage de Dieppe et fut le tout premier au monde à organiser chaque été des courses de vitesse ,ancêtres de nos grand prix . L’ initiative sera d’ailleurs bientôt suivie par une foule de stations balnéaires désirant toutes leur « Grand Prix¨, symbole incontournable d’ une notoriété plus ou moins affirmée ! ( le circuit de Monaco reste aujourd’hui le seul survivant de cette glorieuse époque !)

Ceci étant les progrès continuent tant sur le plan de l’invention que de la production et l’industrie automobile Française occupe alors un très haut niveau loin , très loin devant l’Amérique . C’est dans ce contexte que le journal le Matin lance le ¨son Prodigieux Défi ¨ dans les termes suivants rapportés par Allen Andrew dans son très bel ouvrage ¨The mad motorists ¨ traduit de l’anglais par Marcellita de Molte –Huitefeld et Ghislaine Lavagne sous le titre ¨La Course Pékin Paris ,1907 ¨ « On se préoccupe en ce moment d’organiser des courses d’automobile sur de petits circuits bien déterminés. Ce seraient là spectacles amusants s’ils étaient assez bien combinés pour les empêcher d’être dangereux. Mais ils manquent d’étendue et ce fait diminue leur portée pratique.

« Les organisateurs de ces jeux semblent retarder sur leur industrie. L’automobile est utile pour les longs parcours et tend à rendre l’homme maître de la distance. Nous l’aimons justement parce qu’elle nous permet des trajets qui étaient impossibles jusqu’ici, et voilà qu’on la fait tourner en rond ! Que dirait-on si les Compagnies de chemin de fer s’entendaient pour organiser avec les nobles locomotives de l’Orient-Express ou du Nord-Express un raid sur les lignes de ceinture ? Quand les trains qui vont à Constantinople ou à Saint-Pétersbourg auraient fait cent cinquante fois le tour de Paris, quel progrès en sortirait-il ?

« Mettre des voitures en circuits fermés alors qu’elles sont destinées à de grands départs vers de lointains horizons, voilà une conception dont la logique échappe au grand public. Nous avons pensé que la plus belle industrie française avait, pour faire ses preuves devant l’univers, un champ plus large. Le progrès ne supporte ni médiocrité ni routine. Ce qu’il faut démontrer aujourd’hui, c’est qu’avec l’automobile, on peut tout faire et aller partout. « Partout, oui partout ! C’est ce que les constructeurs nous disent, c’est ce que les acheteurs veulent savoir.

Eh bien, nous demandons aux constructeurs de France et d’ailleurs : « Y en a-t-il parmi vous qui acceptent d’aller cet été de Paris à Pékin en automobile ? « Le pilote courageux et hardi dont la voiture vaillante aura pour spectateurs une douzaine de peuples méritera, en vérité, que son nom soit célébré aux quatre points cardinaux. « Un envoyé spécial de notre journal suivra cette course prodigieuse et nos lecteurs seront tenus jour par jour au courant des péripéties de ce fantastique voyage. Comme on peut le constater l’annonce du 31 janvier avait été rédigée sur un ton quelque peu grandiloquent particulièrement apte à réveiller l’esprit volontiers chevaleresque des pionniers de l’automobile mis en sommeil forçé depuis quatre longues années ,et leurs réponses ne se firent pas attendre ! Comme on pouvait l’imaginer ce fut celle du comte De Dion qui arriva –t-en premier .

« Je lis dans le Matin l’annonce d’un raid de Paris à Pékin. Les routes sont abominables et souvent même ignorées de la carte. Mais j’estime quand même que si une automobile peut passer, la De Dion-Bouton passera. « Cette épreuve constituant en outre une énorme publicité mondiale pour l’automobile, je m’inscris d’ores et déjà pour ce raid, à condition qu’une autre marque accepte d’être à la fois un concurrent et un compagnon de voyage. C’est du Jules Verne, du Mayne Reid ! Mais rien n’est impossible. « Signé : De Dion. »

Le comte De Dion président de la société de Dion Bouton s’averrait alors « le roi incontesté de l’industrie automobile Fançaise « .Homme d’honneur et de grande vie, industriel avisé au fait de sa gloire , grand amateur de bonnes chères et de jolies femmes,volontiers bretteur , il était aussi un homme politique au fort tempérament ! Ce personnage brillant , extraordinaire, haut en couleur et en verve s’avérait l’un des dernier représentant d’une lignée de digne de Rabelais.

Le rival demandé par le Marquis se fit connaître quelques heures plus tard, et sa lettre parvint à temps pour être publiée en même temps que celle de de Dion, dans l’édition suivante. Un rival imprévu. Un impertinent petit « mototri » (une trois-roues, à peine plus grande qu’un triporteur et munie d’un moteur de 6 CV) qui venait de retenir l’attention des sportifs lors d’une compétition récente organisée par le Matin. Le pilote était un jeune enthousiaste du nom d’Auguste Pons. Une paire de ces « mototris » Contal identique à celui du musée du Mans fut nonchalamment inscrite par le constructeur dans le raid Paris-Pékin en ces termes .

« Je reçois à l’instant votre journal et relève volontiers le défi de faire franchir, cet été, en un temps honorable, la distance de Paris à Pékin. Je mettrai en ligne un ou deux de mes vaillants petits « mototris » que cette randonnée, si terrible soit-elle, ne peut effrayer. Je me propose de venir vous voir dès demain à ce sujet. » C. Contal.

BOUCHON DE RADIATEUR DU MOTORI (PHOTO DE L’AUTEUR)

Certains de faire un scoop (on dirait aujourd’hui le buzz !) , l’idée du raid avait été lancée comme par bravade par les directeurs du Matin avec un enthousiasme et une belle insouciance qui n’avait d’égaux que leur totale inconscience des difficultés qui allaient désormais se poser tant sur le plan géographique, météorologique, économique que politique. La Russie notamment était en pleine effervescence et la Chine encore profondément marquée par la révolte des Boxers et son impitoyable répression restait cloîtrée dans un régime quasi-féodal bien hermétique et particulérement méfiant vis-à-vis des occidentaux.

Dans la semaine qui suivit la publication du Défi, on enregistra dix inscriptions. Sous la présidence de Mr Dubail ancien ministre de France à Pékin se formait un comité de personnalité ayant l’expérience de la Chine et de l’Extrême Orient, afin de déterminer la route à suivre dont le sens se trouvait inversé dès le mardi gras pour des raisons météorologiques , Paris-Pékin devenant Pékin-Paris, les organisateurs considérant alors comme inoportun de terminer le raid à la saison des pluies et d’imposer aux concurrents rescapés les boues chinoises à la fin de leur périple , les terribles défilés séparant la Mongolie de Pékin étant considérés à juste titre comme la partie la plus difficile voir la plus meutriére du trajet.

Ceci étant la piste de terre traversant la Sibérie, déclarée comme « ne pas être en trop mauvais état » par un comité bien optimiste n’existait plus en fait depuis 1899 avec la mise en route du transsibérien et allait s’avérer un véritable cloaque ! En effet les pluies chinoises arrivérent cette année là 6 semaines plus tôt que prévu et la Sibérie fut victime d’un été pourri sans précédent qui empêcha jusqu’aux semailles dans cette région agricole ! Aucun obstacle cependant ne semblait pouvoir refroidir l’enthousiasme des mordus de l’automobile et les inscriptions affluaient ! « j’ai l’intention de faire admirer ma 18 CV Panhard dans la capitale des fils du ciel « déclarait crânement le Baron Duquesne alors que l’énigmatique Prince Scipion de Borghèse, l’un des sportifs les plus étonnant de l’époque, déjà certain de disposer d’une machine modifiée à son goût écrivait simplement : «C’est avec une automobile Itala que je m’inscris à votre épreuve.Je vous serai très reconnaissant de me faire connaître au plus tôt tous les détails utiles à la préparation de ce raid », raid qu’il préparait en fait déjà soigneusement depuis la première publication du 31 Janvier tant sur le plan géographique, que matériel et diplomatique , ses origines, sa famille ses relations et son carnet d’adresse d’ancien diplomate lui rendant bien des services et lui ouvrant toutes grandes bien des portes. Dès lors que Borghèse, homme froid, obstiné , implacable calculateur participait au raid Pékin-Paris, l’événement devenait non seulement possible mais plus que probable et dès le lundi 11 Février soit 11 jours après l’annonce du Raid, 30 industriels et pilotes professionnels se rencontraient dans les bureaux du Matin pour prendre au plus vîte des décisions définitives : Il fut convenu que les voitures embarqueraient à Marseille le 14 Avril et que les pilotes prendraient la voix de terre pour accueillir les automobiles en Chine dans les premiers jours de juin.

A l’exception du Prince Scipion, les principaux concurrents étaient présents, entre autres Cormier et Collignon, pilotes expérimentés de chez De Dion, Charles Godart un surdoué du volant qui allait conduire une excellente voiture hollandaise de marque Spyker, ainsi qu’Auguste Pons « un jeune homme de bonne mine, audacieux et sympathique, connu seulement pour ses démonstrations obstinées sur Motori Contal ». Alors que l’on commençait à se rendre compte de l’énormité des frais, et qu’apparaissent la certitude qu’un grand nombre de voitures tomberaient en panne à une telle distance de leur base que leur réparation s’avérerait impossible et très douteuse la sécurité des pilotes, un grand nombre de concurrents commençaient à se désister !

Cependant dès le 22 Février, Charles Godart se joignait aux signataires d’une déclaration dont on lisait comme conditions principales. – 1) Le voyage se fera de conserve, les pilotes se promettant assistance mutuelle jusqu’à la frontière allemande. (cette condition d’assistance ne fut bien évidemment jamais mise en pratique). – 2) Il est interdit à chacun des pilotes, sous peine de disqualification de prendre le train à aucun moment du Raid Pékin-Paris. – 3) Le long du parcours chinois les possibilités de ravitaillement en carburant sont offertes par l’Asiatic Pétrolien Company, spécialement transportées pour le raid à Tien Tsin et déposées ensuite dans les relais du chemin de fer Trans- Mandchourien. (Signalons que les automobiles ne prirent pas la route de Mandchourie, mais celle de Mongolie, où ne se trouvait aucun chemin de fer ! )

Les signataires enfin avouaient leur conviction que personne ne pourrait terminer le raid : « Les inscrits ont décidés de publier la déclaration suivante, afin que tout le monde puisse apprécier à leur valeur les risques du raid Pékin-Paris. Les difficultés de cette extraordinaire épreuve semblent, après un examen approfondi de plusieurs semaines, aussi importantes que nous les envisagions au premier jour. Pékin-Paris ! C’est peut-être une tentative irréalisable. Mais ce sera sans nul doute, pour les pionniers de l’automobile, l’occasion de demander à la traction mécanique de nouveaux progrès, et de montrer aux constructeurs la voie à suivre pour la création de voitures à l’échelle mondiale- c’est-à-dire pouvant traverser au besoin des déserts, des montagnes, des steppes, bref la moitié du globe ! « Signé : de Dion, Contal, Werner, Métallurgique, Sider, Edmond Lévi, Swinehart, Spyker A noter qu’on ne trouve pas au bas de ce document la signature du prince Borghèse, ni celle de son représentant, Fournier.

Le Matin publia la déclaration et stimula les hésitants, d’un roulement de tambour : « L’épreuve peut se comparer à une expédition au pôle. Quelle gloire insigne attend nos modernes héros ! Ils partent pour un raid qui couvre la moitié du monde, à travers des contrées sauvages et sous les climats les plus variés. Quatre-vingts jours d’une extraordinaire aventure ! » Ce chiffre était une remarquable prévision, quant au temps que devait prendre le raid. Très inférieur à ceux qu’avançaient la plupart des inscrits. Le prudent Cormier et autres vétérans accueillirent l’estimation du Matin avec un scepticisme non dissimulé.

Un seul des concurrents, plongés dans ses cartes, ses tables, et ses formules télégraphiques, trouva ce chiffre de 80 jours des plus exagérés. C’était le prince Scipion Borghèse, qui préparait activement le raid, de son bureau du Palazzo Borghèse à Rome. A la fin du mois de mars, après que les Affaires étrangères françaises eurent reçu un télégramme de leur ministre à Pékin annonçant : « Le raid est autorisé par le gouvernement chinois », une vague de pessimisme, soigneusement cachée aux lecteurs du Matin, s’empara des inscrits. Quinze jours seulement les séparaient de l’embarquement à Marseille et La caution de 2 000 francs devenait irrévocable. Il fallait trouver l’argent pour le voyage des équipages et des voitures, et pour les commandes d’essence. Le lustre que s’étaient données certaines firmes ne leur avait coûté que des mots ; et maintenant la victoire finale, bien qu’elle parut plus séduisante que jamais, semblait beaucoup moins à la portée de la main.

Les sommes dues n’arrivaient pas au comité de l’Automobile-Club de France et lorsqu’on fit le compte des inscriptions officielles, on arriva au chiffre de six. Le baron Duquesne lui-même, qui avait trouvé grandiose le projet, « taillé à ma mesure et fait pour me séduire », déclarait forfait , tout s’effondra, et ce fut dans ce contexte de panique générale qu’on envoya au prince Borghèse le télégramme annonçant la suppression de la compétition. IL répondit tout simplement : « Je quitte Naples demain. »et il partit en effet avec la princesse Anna-Maria, une amie de celle-ci, la comtesse Nora Salzani, son mécanicien et sa voiture. Jules Madeline, directeur général du Matin, et le marquis de Dion se trouvèrent dans une situation affolante.

Le défi Paris-Pékin avait été lancé à seule fin de stimuler l’industrie automobile française, et voilà que l’unique partant était un prince italien, appuyé par un journal italien ! Les organisateurs du défi, lancé un peu à la légère , n’avaient certainement pas estimé à leur juste valeur l’ampleur des intérêts suspendus à l’issu de celui-ci ! De Dion devait se reprendre au plus vite, et il le fit d’ailleurs dès qu’il eut connaissance du télégramme princier qui les mettait tous au pied du mur tant et si bien que le dimanche 14 Avril de très bonne heure les voitures partant de Paris se retrouvaient sur le quai de Marseille pour embarquer sur l’Océanien comme prévu lors de la réunion du 11 Février !

Il y avait là : – La Spyker hollandaise très soigneusement préparée par son ingénieux constructeur , confiée au pilote fantasque et surdoué Charles Godart – Les deux De Dion de Cormier et Collignon accompagnés d’un de leur mécanicien, – Le cycle-car Contal et son pilote Auguste Pons garçon téméraire incurablement optimiste et son mécanicien Foucault. – Edouardo Longoni journaliste italien appointé par le Secolo de Rome et la London Tribune. – Du Taillis correspondant du Matin chargé de couvrir l’événement. – Les autres pilotes participants avaient pris la route de terre. Le 16 Mai, après une joyeuse traversée rendue inoubliable grâce à l’enthousiasme de nos compatriotes les voitures furent transférées sur le caboteur Admiral Von Tirpitz en direction de Tien Tsin sans leurs accompagnateurs, lesquels firent escale à Shanghaï avant de se rendre à Pékin où les attendait une très mauvaise surprise : Une fois encore le raid était annulé, cette fois-ci par les autorités chinoises…….

Les quatre voitures parties de Marseille quand à elles avaient rejoint Tien Tsin à Pékin par le train non sans quelques tribulations , et l’Itala du comte Scipion de Borghèse était là prête à partir elle aussi ! De longues semaines de tractation , tout le talent et la tenacité de M E V E Baptst ministre de France à Pékin furent nécessaires pour obtenir in extremis l’accord des autorités chinoises ! Le Dimanche 9 Juin fut l’objet de réceptions de grand apparat en l’honneur des concurrents, les feux d’artifices tirés du jardin de la légation de France illuminaient la nuit, alors que M E V E Bapts devait régler une ultime tracasserie administrative de dernière minute soigneusement préparée !….

Le lundi 10 juin, après une nuit divine l’aube était grise, il allait pleuvoir ! Les 5 équipages au départ se trouvaient devant la caserne Voyron où se déroulaient une véritable garden party à 7 heures et demi du matin, on avait d’ailleurs jamais vu un tel rassemblement d’européens distingués ou gradés à une telle heure , ni même une pareille foule dans Pékin ! Le commandant Laribe, metteur en scène hors pair fit exécuter les hymnes nationaux italiens et hollandais puis vient la Marseillaise, reprise par tous les Français. L’instant prenait une valeur exceptionnelle, aux yeux de tous ceux qui étaient présents dans la cour de la caserne Voyron. Tous se sentaient émus, touchés par cette exaltation de jeunesse héroïque, une jeunesse que bien des assistants avaient perdue pour toujours. Tous ces hommes, toutes ces femmes, étaient loin de leur pays et n’avaient pas honte de montrer qu’un chant, une sonnerie de trompettes, les faisaient tous communier dans une même nostalgie.

Après quoi Madame Boissonas , femme du premier secrétaire de la légation de France, d’un geste gracieux et inexpérimenté brisa la bouteille de champagne sur le capot de l’Itala avant d’abaisser le drapeau. Maintenant commençait la réalité. ……. Dès la sortie de Pékin Collignon et Pons se perdaient sous la pluie, et le tricar Contal éprouvait déjà des difficultés. Les routes planes de la ville ayant disparues, son avant trop lourd était entraîné dans les ornières et l’unique roue motrice arrière quittait le sol , son handicap s’avérait tel qu’il fut d’emblée dispensé de franchir les épouvantables ponts du Cha Ho et les terribles gorges de Nankow qu’ il traversa par le train ! De Nankow à Kalgan qu’il rallia le 16 juin La Contal ne pu toujours pas se servir de son moteur.

C’était un trois-roues et si Les voitures normales arrivaient encore à éviter les profondes ornières creusées par des générations de chariots en faisant passer les roues gauches sur le relief laissé entre les ornières tandis que les roues droites empruntaient le sol rugueux , le Contal lorsqu’il se déplaçait d’une demi-largeur voyait sa roue arrière se loger systématiquement dans une ornière sans le moindre espoir d’en sortir ,et forcé de se faire continuellement hâler il retardait tous le monde . Arrivés à Kalgan deux jours après l’Itala, mais sous les acclamations d’une foule en délire, les dieux vivants qui se promenaient dans des voitures sans chevaux ne disposèrent que de quelques heures pour réviser leur machines, faire honneur au banquet offert par le directeur de la banque Russo-Chinoise et s’initier aux monnaies locales.

En toute hâte Pons et Foucault sciaient les garde-boues avant de leur tricar, essayant désespèrement de reporter le poids sur l ‘ arrière, le départ de Kalgan vers la Mongolie étant programmé le lendemain lundi 17 juin dès 4 heures du matin. Quelques kilomètres après le départ avait lieu l’ultime et terrible ascension vers le plateau de Mongolie. Pons et Foucault arrivèrent les derniers au pied des gorges, très longtemps après tous les autres , poussant péniblement le Contal dont la troisième se refusait à entraîner la machine et si les autres concurrents eurent la charité de ne rien leur reprocher, tout le monde n’en pensa pas moins que le tricar n’arriverait jamais à Paris. Ce dernier halage fut le plus difficile, mais après 3 heures d’efforts inouïs les 5 voitures se trouvaient sur le plateau de Mongolie . C’était le lundi 17 juin, à midi.

En sept jours depuis Pékin les concurrents avaient couvert 321 kilomètres environ, il leur restait à parcourir 14500 kilomètres dont les prochains 1600 kilomètres correspondant à la traversée de la Mongolie compteraient sans doute non parmi les plus difficiles, mais certainement parmi les plus dangereux car aucun relais n’avait pu être établi dans la région, et si l’une des voiture tombait en panne, aucune aide ne pourrait lui être apportée en dehors de celle des membres de l’expédition. Tout ce qu’on avait pu prévoir (et à quel prix !), c’était les quelques dépôts d’essence que les caravanes de chameaux avait disséminés aux stations télégraphiques situées en plein désert. Une fois encore les concurrents refirent leurs bagages, Charles Godart, homme de cœur accepta de charger ceux de Pons et Foucault ce qui impliquait que par la suite la Spkyper devrait rester en contact étroit avec la Contal et amenait Godart à se priver d’un bidon d’essence (190 Kms de désert…..), espérant naÏvement que les autres concurrents ne refuseraient pas de lui en fournir au prochain ravitaillement situé à Ouddé la prochaine station télégraphique située à 595 kms , une grave erreur qui faillit bien lui coûter la vie .

Avant d’atteindre Oudde , deux voies différentes menaient de Kalgan à Ourgala la ville sainte des lamas boubhistes située au nord-ouest de la Mongolie .Les concurrents avaient crânement renoncés à la relative sécurité de la route Mandarine, la plus communément suivie sur laquelle de nombreux voyageurs pouvaient apporter un secours à une voiture en détresse, pour emprunter celle des caravanes plus courte de 160 kilomètres environ mais qui ne présentait ni habitations, ni ressources en vivres, ni guère de puits . On pouvait certes estimer que sur cet itinéraire le sol ne serait peut-être pas défoncé par les roues des chariots comme l’était celui de la route Mandarine et que la ligne télégraphique jalonnant cette piste rendait l’orientation simple comme bonjour puisqu’il n’y n’avait qu’à suivre les poteaux , il n’en restait pas moins que La prise de risque était énorme ! A 3 heures de l’après-midi le cortège se mit en route, après 65 kms de pistes sableuses sur lesquelles l’Itala et la spyker firent grande impression, les équipages décidèrent de s’arrêter pour camper.

La halte se fit près d’un groupe de maisons, dans une région de petite culture où se trouvait un point d’eau. Les femmes qui travaillaient aux champs, voyant s’arrêter les étranges machines, se sauvèrent, terrifiées, en sautillant sur leurs pieds mutilés. Les hommes entourèrent les véhicules. Le Contal, naturellement, était en retard ; comme il piquait toujours du nez , Pons et Foucault, épuisés, avaient dû le pousser sur toutes les parties mauvaises du terrain. Il devenait évident que les ennemis du trois-roues n’étaient pas seulement les ornières, mais aussi le sable et il y avait encore des centaines de kilomètres de sable en perspective !….. Durant le repas pris en commun la foule des villageois entoura les voyageurs, le chef du village leur offrit le thé et ,cerise sur le gâteau , un soldat chinois venu à cheval de Kalgan leur remit leur courrier. Une grande paix emplit les cœurs. La tension quotidienne se relâchait, en même temps que semblait naître quelque chose qui ressemblait à de la camaraderie. Ces hommes s’étaient fixé un même but, faisaient face aux mêmes dangers, avec le même courage. La lune se leva dans un ciel pur , le froid les pénétra et les fit frissonner. Pourtant nul d’entre eux ne bougeait.

Tous auraient voulu prolonger cet instant à jamais, cet instant magique de douceur et d’amitié. C’était la première fois qu’ils se trouvaient rassemblés, seuls dans le vaste monde . la première fois qu’ils partageaient un repas et le silence, en compagnie les uns des autres. Borghèse, Godard, Cormier, Collignon, Pons, Barzini, Guizzardi, du Taillis, Longoni, Bizac, Foucault. C’était aussi la derniére , jamais plus ils ne se retrouverais tous ensemble. Le lendemain, mardi 18 juin , Pons et Foucault partirent en avant sur le Contal, à 3 heures du matin. Il peut sembler cruel qu’on ait forcé l’équipe la plus épuisée à prendre la tête de la colonne , mais le tricar s’était arrêté tant de fois la veille qu’il retardait considérablement les autres véhicules. En lui accordant cette avance l’expédition perdait moins de temps, et les équipes au fur et à mesure qu’elles rattrapaient le Contal, étaient en mesure de l’aider si le besoin s’en faisait sentir. Une heure plus tard, la Spyker et les De Dion démarrèrent ensemble. L’Itala resta en arrière ,l es Français, en loyaux sportifs, avaient d’ailleurs estimé déraisonnable de restreindre la vitesse de l’Itala à laquelle convenait peu l’allure trop lente du convoi , ce qui revenait à admettre implicitement qu’en cas de détresse l’équipe italienne brillerait par son absence !

Plus rapide que toutes les autres l’Itala pourrait évidemment faire demi-tour en cas de besoin , cependant personne n’émit l’idée qu’un véhicule aussi puissant devait, dans l’intérêt général, jouer le rôle d’éclaireur. Le faiit que Borghèse eût licence d’agir en cavalier seul tout en restant membre de l’expédition semblait étrangement contenter tout le monde ! 25 kilomètres environ après le départ, les trois voitures pilotées par des français rattrapèrent le Contal. Godard se pencha et cria en passant : « Ca va , »- « Ca va , » répondirent simplement Pons et Foucault Bien que l’aspect général du paysage évoquât celui d’un plateau, on rencontrait tout de même de profonds ravins aux descentes rapides et aux remontées difficiles. Le ruisseau, au fond du vallon qu’ étaient en train de dégringoler allégrement la Syker et les de Dion se révélait dangereusement boueux, et quand ils l’eurent franchi pour gravir péniblement l’autre versant, les pilotes convinrent que cette traversée ne pouvait se faire qu’à toute vitesse pour éviter un enlisement certain. Godard se dit que Pons allait avoir bien des difficultés, aussi arrêta-t-il sa Spyker au sommet de la côte, pour voir passer les De Dion et pour attendre assez longuement le Contal qui apparut enfin et commença la descente du ravin.

Godard se mit à pousser de grands cris en faisant signe d’accélérer, Pons le comprit , le Contal disparut dans le ravin , il y eut une minute d’incertitude, puis on entendit le moteur hurler et le véhicule émergea au niveau de la Spyker. – Ca va, Pons ? – Très bien, merci. Pendant près de quatre heures les quatre voitures marchèrent de conserve sur ce terrain difficile qui ne ralentissait tout de même pas trop leur allure. Vingt kilomètres de moyenne, cela satisfaisait les pilotes. sur une ligne droite Godard ne pu résister et appuya sur le champignon bientôt doublé par l’Itala de Borghèse qui lui lança : « je viens de dépasser Pons qui n’est pas loin derrière vous. Il dit que tout marche à souhait >> Godard regarda disparaître l’Itala. Et lorsque Cormier accéléra pour demander ce qu’avait dit le Prince, il répéta la phrase d’un air amer,. Cormier, malgré son attachement professionnel aux voitures légères, ne dissimula pas non plus son agacement en voyant l’Itala s’éloigner avec tant de grâce, mais il se borna à dire : – Le gars fera bien de se méfier.

S’il commence comme ça, ce ne sera pas long avant qu’il n’ait son Itala en panne. Tel est le souvenir que l’incident laissa dans la mémoire de du Taillis. Mais Barzini, qui accompagnait Borghèse, en avait une version toute différente : Selon lui, au moment où ils avaient dépassé le Contal, celui-ci était arrêtée. Pons et Foucault semblaient examiner le moteur , Borghèse aurait ralentit pour offrir ses services que Pons aurait déclinés. Le Prince aurait alors penser que les pilotes laissaient refroidir leur moteur et avait continuer sa route. Une demi-heure plus tard, il avait rattrapé les autres et les avait salué. Toujours selon Barzini, le Prince ne leur aurait pas soufflé mot du Contal. – En tout cas, et quelle que fût la vérité, Pons à ce moment n’était déjà plus dans la course. – Les deux De Dion et la Spyker roulant tranquillement ne cherchérent nullement à courir derrière l’Itala. Cormier prit la tête et, tenté par une descente en pente douce, se permit une pointe de vitesse. Les autres suivirent sans prendre la peine de vérifier la piste. Du Taillis avait sur ses genoux une carte à petite échelle.

Les croisements indiqués ne devaient pas être loin. Et puis il y avait toujours les poteaux télégraphiques pour guider les voyageurs !… – Surpris de ne pas voir pas la moindre trace du passage de l’Itala , Du Taillis cria quelque chose à Godard, qui rattrapa Cormier « Les poteaux ont disparu ! « cria du Taillis. Borghèse ne s’orientait que par eux. Cormier refusa tout d’abord d’admettre que sa navigation fût en défaut mais au bout de dix minutes il consentit à faire un quart de tour à gauche, ce qui voulait dire passer dans les hautes herbes, dans l’espoir de retrouver les poteaux. Personne n’avait de boussole et personne ne songea à s’orienter au moyen du soleil !…. Les trois voitures roulant dans la haute végétation finirent par arriver dans une région qui ressemblait à des dunes, où l’herbe devenait rare et piquante. Des lièvres se levaient devant les véhicules. On tomba ensuite sur des marais. Enfin apparut une piste, qui portait nettement la trace des pneus antidérapants de l’Itala alors que la ligne des poteaux télégraphiques se profilait, tout droit devant.

Les trois voitures continuèrent sur cette piste raboteuse et pentue qui les forçait à aller doucement. Un point d’eau leur permit de rafraîchir les moteurs. Après quoi, ils pensèrent à Pons. Le Contal les avait-elle suivis ? Ou au contraire, comme la vitesse n’était pas son fort, s’en était-elle prudemment tenue à la ligne des poteaux télégraphiques ? Une heure passa. D’un pli de terrain qui dominait la plaine, chacun, à tour de rôle, examinait à la lorgnette la direction où Pons aurait dû poindre. On écoutait, on n’entendait rien. Ils réfléchirent à ce qui avait dû arriver. D’après ce qu’avait dit Borghèse, Pons était sur leurs talons ; or Borghèse les avait dépassés quatre kilomètres avant l’endroit où ils s’étaient trompés de direction. Si Pons les suivait il avait dû voir les traces diverger, prendre lui-même une décision et continuer correctement sur la piste de gauche, dans ce cas il avait dépassé la bifurcation deux heures plus tôt et il n’était alors pas étonnant qu’il ne donnât aucun signe de vie ! Il devait être à 30 ou 35 kilomètres devant eux sur le chemin de la prochaine étape.

En fait à cet instant Pons se trouvait à des kilomètres en arrière sur la piste là même où Borghèse l’avait laissé , et la situation du trois-roues était des plus critiques : La voiture marchait parfaitement mais n’avait plus d’ essence, il restait un demi-litre dans son réservoir. La matinée ne faisant que commençer Pons avait jugé inutile de s’inquiéter pensant que le convoi s’arrêterait bientôt pour l’attendre et que l’on demanderait sans doute à Borghèse de faire demi-tour pour l’aider , c’était une prescription de la loi d’assistance mais à midi personne ne les avait rejoint et pourtant ils auraient eu largement le temps de revenir ! Comme la nuit tombait les deux hommes s’aperçurent qu’ils avaient terriblement soif , « on se sent mourir » dit simplement Foucault, depuis le départ en effet ils vivaient largement au-dessus de leurs forces. « Quand on nous retrouvera, lui répondit Pons , nous tiendrons peut-être encore le coup, mais si nos cerveaux ont lâché avant ?…

Il faut trouver de l’eau, Foucault, il le faut ! Laissons la machine pour trouver de l’eau. Et allons-y tant qu’il fait encore clair. Dépêchons-nous pour être revenus quand ils arriveront… » Ils partirent dans la plaine…. Au même moment l’Itala arrivait à Pong– kiong et sur ordre de Borghése Barzini expédiait un télégramme qui allait paraître dés le lendemain matin dans le Daily Telegraph : « L’équipe du tricar Contal a estimé qu’il lui était impossible de continuer le raid . Les concurrents sont par conséquent ramenés à quatre : MM.Cormier et Collignon sur De Dion- Bouton ,Godart sur Spyker ,et le prince Scipion Borghèse sur Itala . On peut espérer maintenant que l’allure va enfin s’accélérer . » L’idée que Pons et Foucault étaient en danger de mort n’effleurait personne. Se trouver exposés sur ce plateau dans la chaleur torride du jour et le froid glacial de la nuit, sans nourriture ni abri, s’averait pourtant la pire des détresses. Mais tout le monde pensait que les cavaliers mongols iraient dès le lendemain chercher les esseulés, alors pourquoi s’inquiéter ? Le seul ennui, pour eux, serait le manque d’argent, car ils n’avaient pas le moindre tael en poche.

Du Taillis parvenu lui aussi à Pong– kiong se mit aussitôt à la rédaction d’une lettre en français, dans laquelle il expliquait à Pons ce qui s’était passé (c’est-à-dire l’erreur de direction), tout en essayant de justifier la continuation du raid. Puis il donna en anglais à M. Luck le télégraphiste les instructions concernant l’envoi de cavaliers qui devraient se charger remettre la lettre adressée à Pons et ramener les 2 hommes a Pong-Kiong ou le même monsieur Luck se chargerait de les réconforter et de les envoyer à Oudde. Le contact devait être maintenu par télégraphe entre M. Luck et les pilotes. Quant aux cavaliers, ils seraient naturellement rétribués. Ce fut Godard qui posa la question majeure : l’essence ! Il fallait de l’essence à la Contal pour gagner Pong-Kiong, puis Oudde. Or la quantité de carburant disponible à Pong-Kiong n’avait rien de surabondant……

Depuis l’aube Pons était resté près de sa machine silencieuse, les yeux fixés sur l’horizon, dans l’espoir insensé d’apercevoir ses compagnons. Puis il prit une décision : – Allons à leur rencontre jusqu’à la dernière goutte d’essence, dit-il à Foucault. Les deux hommes mirent le moteur en route et avancèrent sur la piste. Un quart d’heure plus tard le moteur s’arrêtait irrémédiablement . Il était 5 alors heures du matin. Ils marchèrent un bout de temps. Pons estima qu’ils faisaient 6 kilomètres à l’heure. A Onze heures. Ils avaient parcouru plus de 32 kilomètres. Ils avaient traversé des villages,n’avaient vu personne, n’entendaient aucun bruit de moteurs. La soif les déchirait. Ils trouvèrent un trou d’eau, au centre d’une mare de boue séchée. Le trou grouillait d’insectes. Ils tombèrent sur le sol, y appliquèrent leur bouche pour aspirer l’eau, crachèrent les insectes. -Revenons sur nos pas, dit Pons. Ils rebroussèrent chemin, mais la marche devenait tellement exténuante qu’ils mirent huit heures pour retrouver leur Contal. Ils ne voyait toujours personne , vers Sept heures du soir ils se sentirent très malades ,pris de vomissements, ils se couchèrent sur le sol prés de leur Contal et attendirent le sommeil. Pons les maudissait tous – Borghèse, Cormier, du Taillis, Godard. Depuis trente-six heures, lui et Foucault gisaient affalés près de leur machine après avoir fait 65 kilomètres pour chercher du secours.

Lorsqu’ils reprirent conscience, une seule idée hantait leur vervelle bourdonnante : voir un être humain , quitte à être massacrés (comme l’avaient prédit fonctionnaires chinois), il fallait trouver un être humains. Certains désormais d’avoir été définitivement abandonnés, ils bifurquèrent à angle droit de la piste, dans l’espoir de rencontrer une caravane. L’immense plaine, miroitant sous le soleil ne faisait qu’accroître leur solitude. Ils paraissaient seuls au monde. Marchant, trébuchant, se traînant, Pons et Foucault aperçurent enfin les tentes basses d’un campement de nomades. Mais ils n’allèrent pas tout de suite dans cette direction. Les deux pilotes revinrent chercher leur machine…

Elle faisait partie d’eux-mêmes. N’était-elle pas leur seule chance de rentrer à Paris ? Ils retrouvèrent le Contal et essayèrent de la tirer , mais les ornières qui tous les jours leur avaient fait obstacle depuis le départ de Pékin les vainquirent encore une fois car malgré leurs efforts désespérés la machine y restait coincée. Les malheureux épuisèrent ce qui leur restait de forces et s’écroulèrent définitivement dans la poussière près de leur machine qui ironie du sort fonctionnait désormais parfaitement une fois alimentée !C’est ainsi que les nomades les trouvèrent, les emportèrent à demi-morts vers leur huttes ou ils les soignèrent avant de les remettre au détachement de cavalerie envoyé à leur recherche par le gouverneur militaire de Kalgan.

Pons et Foucault rentrèrent lentement à Pékin. Et le Contal resta à se rouiller dans la plaine. Le cœur débordant d’amertume, pleins de griefs à l’égard de leurs compagnons, les deux jeunes gens ne cessèrent jamais de clamer qu’on les avait trahis. Ce qui était faux, tout au moins en ce qui concerne Du Taillis et Godart ce dernier se révélant d’une probité exemplaire envers Pons, lui ayant laissé entre autre le carburant nécessaire à Pong-kiong au détriment de ses propres réserves, ce qui lui valu de se retrouver à son tour en panne sèche au milieu du désert de Gobie dans une situation aussi tragique que celle de l’équipage du Contal, à ceci près que l’attitude des autre concurrents ne laissa pas le moindre doute ni le moindre espoir quand à leur esprit sportif…..

Un siècle plus tard il est permis de se demander ce qui a poussé Pons et Foucault à relever ce prodigieux défi avec un tel véhicule. Si ce n’est une inéluctable confiance . Confiance en le progrès source de bonheur à venir , dans le concept des véhicules légers , dans une mécanique exceptionnelle et performante certes mais conçue pour le colportage citadin. Confiance en les organisateurs, qui ne les auraient peut-être pas laissé partir si les concurrents avaient été plus nombreux, l’épreuve de sélection ayant été abandonnée !

Confiance en l’homme en général, et dans les autres équipages censés suivre la loi d’assistance. Confiance en le présent (sept ans avant le premier conflit mondial) et en l’avenir, à cette époque, les français inventent sans relâche , ne reculent devant aucun effort et osent sans limite : les cyclistes se lancent dans Paris-Brest-Paris , plus de 1200 kms sans étapes , le journal l’auto lance le 1er tour de France cycliste et les coureurs des 6 jours pédalent durant 144 heures d’affilée ! S’ils n’ont pas réussi, Pons et Foucault ont eu le mérite d’avoir oser tenter au risque de leur vie une aventure surréaliste qui passionna les foules , à commencer par un jeune polytechnicien à lunettes qui un quart de siécle plus tard lancera à travers la Chine une croisière automobile portant son nom :la croisiére jaune Andre Citroén.

CONTRIBUTEUR : DR. JEAN-PIERRE JOUETTE,

Resident du Mans, Membre du Souvenir Francais de Chine

Né à Rouen le 16 Août 1946 en plein Baby Boom, j’y ai passé mon enfance dans la banlieue sud et industrielle non loin du magnifique  et alors célèbre circuit de Rouen- Les Essart où se déroulaient notamment tous les ans le Grand Prix de France automobile, équivalent de notre Grand Prix de F1 actuel.

Aussi loin que remontent mes souvenirs mes parents ont du m’y emmener dès l’âge de 5 ou 6 ans, en cet immédiat après guerre les conditions de vie matérielles étaient quelque peu difficiles mais les temps étaient optimistes, conviviaux et chaleureux.

Il suffisait de se rendre au circuit durant les journées consacrées aux essais pour approcher et même discuter avec les champions de l’époque généralement plongés dans le moteur de leur machine sur la pelouse (l’herbe !) derrière leur stand respectif.

Ils s’appelaient Trintignant, Gonzales, Ascari, Fangio, Moss Colin Chapmann ou Mike Hawthorn, s’avéraient d’une incroyable simplicité,  prévenant avec le bambin que j’étais, et particulièrement heureux en ce qui concernait les pilotes anglais de trouver une excellente interprète en la personne de ma mère !

Mais plus que leur bolide, leurs voitures personnelles me fascinaient, l’industrie automobile n’étant pas encore répartie les pilotes se déplaçaient  de circuit en circuit dans de magnifiques et confortables automobiles d’avant guerre : Talbot, Delahaye, Delage Salsmon, Bugatti, de véritables joyaux roulants comparés à la très modeste et capricieuse  4CV  de mon père !

Ce dernier représentant dans une marque de carburant nous emmenait fréquemment le dimanche visiter ses clients garagistes (on n’était pas au 35 H), chez lesquels sommeillaient souvent de belles  voitures d’avant guerre appartenant aux derniers  industriels du textile des  vallées avoisinantes .

Le soir, notre voisine une forte dame aux doigts de fée me racontait sa vie  chez Son Patron ,le fantasque et génial André Citroén ! Premiére main chez Coco Chanel ,elle avait été déléguée par cette derniére comme couturiére habilleuse personnelle  de madame Andre Citroên qu’ elle accompagnait en toute circonstances , et finissait mélancoliquement sa vie professionnelle  comme chef des travaux dans le lycée technique ou ma mére enseignait l’anglais.

De Rouen mes parents partirent pour le Havre, où les gens avaient plus d’intérêt pour les bateaux que les autos , puis Rennes où je fis mes études dentaire,connu mon épouse Cathy, avant de nous installer au Mans en 1973, comme orthodontiste et médecin du travail.

C’était alors les années Matra, bien inspirée pour la  fête des pères Cathy mon épouse m’offrit  « 50 ans d’automobiles » d’Albert Grégoire . Au fil des pages les souvenirs refirent surface, les anecdotes de ma voisine me revenaient en mémoire  mais désormais père de 2 enfants  c’est avec une curiosité nouvelle pour les hommes, leur personnalité, la vie passionnante et parfois tragique de ces grands capitaines d’industrie  que furent Le Conte De Dion, Emile Levassor,Emile Matthys, Gabriel Voisin, Louis Delage, bien évidemment Louis Renault et tout particulièrement André Citroên  qui durant quelques décennies hissérent la France au firmament mondial .