Stanislas Chevalier, père français de la météo chinoise

De Histoire de Chine

Rédigé par David Maurizot

Quand il arrive à Shanghai, en 1883, Stanislas Chevalier a à peine 31 ans : presque le même âge que la Concession française de Changhai (selon l'orthographe de l'époque). Le Bund qu'il aperçoit du pont de son bateau à voiles n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements. Ce Bund des imposantes et fières structures que nous connaissons n'existe pas encore : le front de rivière est boueux, la route qui la borde est faite de terre, et les compagnies de commerce occidentales n'y ont élevées que de modestes bâtiments coloniaux. Tout reste à construire. Tout reste à faire.

Le Bund

Ad majorem Dei gloriam

Matteo Ricci

Stanislas Chevalier est un père catholique de la Compagnie de Jésus : un jésuite. Après plus d'une dizaine d'année d'étude et d'apprentissage, il a fait, "pour la plus grande gloire de Dieu" comme le proclame la devise de l'ordre, vœux de pauvreté, de chasteté et surtout d'obéissance. Envoyé à sa demande en Chine, son existence va être entièrement soumise à un modèle développé par un autre jésuite qui l'a précédé trois siècles plus tôt : Matteo Ricci.

Ce missionnaire a développé une méthode inédite pour convertir la Chine : au lieu d'aller prêcher la bonne parole directement au "petit peuple", il choisit d'abord de se fondre lui-même dans la culture chinoise. Il en apprend la langue, l'écriture, les codes et devient un véritable lettré. Il en porte d'ailleurs l'habit. Ainsi sinisé, il se fait ensuite accepter à la cour impériale de Pékin. Là, il y expose les sciences et techniques européennes : il cherche ainsi à démontrer que celles-ci peuvent parfois s'avérer plus précises et plus correctes que celles des Chinois. En particulier, il espère que cela permettra de convertir à sa science religieuse les mandarins de la cour, et pourquoi pas l'Empereur et la Chine entière à sa suite.

En 1842, tandis que les commerçants anglais s'établissent sur le Bund, des missionnaires jésuites français vont s'installer à l'endroit même où un mandarin converti par Matteo Ricci s'était fait enterrer et où ses descendants entretenaient une petite chapelle. Ce petit village de chrétiens chinois à l'Ouest de Shanghai se nommait en dialecte shanghaïen Zikawei.

Sans attendre, ils y ouvrent des écoles, des orphelinats, une imprimerie (pour diffuser la Bible), mais aussi, en s'inscrivant dans la lignée de la "méthode Ricci" une bibliothèque et un observatoire météorologique.

Le père de la météorologie en Chine

Stanislas Chevalier

L'Observatoire de Zikawei va être modernisé une première fois en 1870, avec des équipements importés d'Europe, et mis au standard de l'Observatoire de Paris. La prévision météorologique (et en particulier des typhons) deviendra la plus importante de ses missions. Relié au télégraphe en 1882, il pourra être en liaison directe avec les autres observatoires de la région, et publier un bulletin quotidien à destination de la population, mais surtout des marins.

À partir de 1887, avec Stanislas Chevalier à sa direction, il va prendre un véritable essor et devenir une référence en Extrême-Orient. Toujours grâce au télégraphe, celui-ci est maintenant relié directement au Bund, le port de Shanghai, et par le biais d'un vaste mât orné de drapeaux signale les importantes informations météorologiques aux navires. Suite à un violent typhon, le mât en bois sera remplacé par un bâtiment en dur en 1907. Le sémaphore - tel est alors le nom de ces  "postes d'information" - donne la météo, les marées, mais aussi le temps : tous les jours, à 11h45 une grosse boule s'élève à son sommet et est ensuite précipitée dans le vide à midi pile. Cela permettait aux marins de régler leurs montres.

Perfectionniste, le Père Chevalier partira en 1897 dans une longue expédition, sur une simple jonque, le long du cours supérieur du Yang-Tsé afin d'inspecter les 48 stations météorologiques qui s'y trouvaient et de déterminer leurs coordonnées astronomiques. Le tout afin d'affiner encore plus les prévisions météorologiques. Il en reviendra avec une carte actualisée du Yang-Tsé qui fera autorité pendant des décennies.

L'Observatoire de Zikawei est alors réputé pour sa précision dans toute la région, "le plus fiable d'Extrême-Orient", et devient une véritable institution.

La tête dans les étoiles

Stanislas Chevalier

La grande passion du Père Chevalier est toutefois l'observation astronomique : en 1900, il se décide à fonder un nouveau département dédié à cette science.

Pour cela, loin des nuisances magnétiques du tramway shanghaïen, il fait construire un nouvel observatoire au sommet d'une petite colline à 25 kilomètres au Sud-Ouest de Zikawei : nommée Zo-Sé, celle-ci était à l'origine un lieu de villégiature pour les jésuites. Il y importe d'Europe les meilleurs instruments de l'époque, dont un télescope de très grand format : le tout formera l'observatoire astronomique le plus important d'Extrême-Orient.

On observera à Zo-sé, par exemple, le passage de la comète de Halley en 1910. On y fera également un long travail sur les tâches solaires. De précieuses photos de l'époque du Père Chevalier sont encore étudiées de nos jours. En 1926, l'observatoire participera au consortium mondial qui réalisera le nouveau calcul des longitudes.

Considéré comme le "Père de la météorologie en Chine", Stanislas Chevalier s'éteint à Shanghai en 1930, 47 ans après son débarquement sur le Bund. Une rue, la "Route Stanislas Chevalier", lui sera dédiée par le Conseil municipal de la Concession française de Shanghai.

Les lieux de Stanislas Chevalier

L'époque de Stanislas Chevalier peut nous sembler lointaine, la Chine d'alors étant bien éloignée de celle que nous connaissons. Pourtant, en cherchant un peu, les traces de son immense travail et les lieux de son existence, subsistent encore :

Le sémaphore du Bund : La tour Gutzlaff

La tour Gutzlaff

Le "sémaphore des Jésuites" s'élève toujours sur le Bund. Il s'agit de cette mystérieuse tour à l'angle de la Yan'an Lu, côté rivière. Baptisée "Tour Gutzlaff" lors de son inauguration, du nom d'un missionnaire allemand du XIXème siècle, il est souvent le petit malheureux oublié des circuits touristiques : son histoire, comme on l'a vu, en fait pourtant le point de départ d'une visite historique de Shanghai !

N'étant plus en opération depuis 1956, les communications radios l'ayant rendu obsolète, le sémaphore est devenu par la suite un poste de police maritime, puis un musée. Il est maintenant occupé par un petit restaurant. Déplacé sur des rails d'acier par deux fois, d'abord dans les années 90 pour faire de la place au viaduc de Yan'an Lu qui finissait jusqu'en 2009 directement sur le Bund, puis pour les travaux liés à l'Exposition Universelle, le sémaphore, à l'issue de ce voyage de quelques dizaines de mètres, a aujourd'hui repris sa place originelle !

L'Observatoire de Zikawei

L'observatoire de Xujiahui

Zikawei, le petit village chrétien du Père Chevalier, c'est notre Xujiahui d'aujourd'hui ! Modernité et standardisation de la langue oblige, entre notre missionnaire jésuite et nous, on passe du shanghaïen au mandarin.

Le bâtiment de l'observatoire, datant du Père Chevalier, a survécu et est un véritable miraculé de la spéculation immobilière moderne ! L'administration en charge de la météorologie à Shanghai a toujours ses bureaux à quelques pas, mais les prévisions ne s'y font plus. Situé au sud de la Cathédrale de Xujiahui, il a été complètement restauré il y a quelques années et est maintenant un musée passionnant ; visites sur rendez-vous le samedi.

L'Observatoire de Zo-Sé

L'observatoire de Sheshan

Zo-Sé en shanghaïen donne Sheshan en mandarin. Accessible maintenant en métro par la ligne 9, la colline est couronnée par une basilique de style néo-roman achevée en 1935. C'est un important lieu de pèlerinage pour les Catholiques chinois. L'observatoire et les instruments du Père Chevalier sont toujours là : le lieu a été transformé en musée d'histoire de l'astronomie chinoise. À quelques dizaines de mètres à peine, un télescope moderne est toujours en activité.

La Route Stanislas Chevalier

Route Stanislas Chevalier

Les rues portant les noms de personnalités non-chinoises ont toutes été débaptisées par les autorités municipales après la Seconde Guerre Mondiale. Celle au nom du père Chevalier n'a pas fait exception et est devenue Jianguo Zhong Lu. Située derrière Tianzifang, elle abritait au temps de la concession, aux numéros 20 et 22, le quartier général de la police française et un tribunal. Ces magnifiques bâtiments existent toujours, ils ont été restaurés il y a peu et servent aujourd'hui de poste de police et de tribunal.